
Réflexion à partir de concepts socialistes sur le capitalisme et ses leurres dans notre communauté.
Le mouvement panafricain dont on peut considérer Marcus Garvey comme un des pères si ce n’est l’unique père, promeut l’union des noirs et leur intra solidarité. Il est aussi fréquent que l’on rencontre comme corollaire des discours « pro-retour au pays ». Ceci est généralement présenté comme une solution à nos problèmes en tant qu’afrodescendants vivant dans des sociétés occidentales ; construire des choses sur notre continent d’origine puisque notre continent « d’accueil » ne nous accueille pas aussi bien que ce que l’on voudrait nous faire croire. Mais quels vices cela pourrait-il représenter et dans quelles mesures est-ce que ces idées fatalistes, bien que compréhensibles, pourraient-elles être discutées ?
Le premier axe méritant d’être débattu est naturellement le mot « retour » dans « retour au pays ». De quel retour parle-t-on ?
En effet, beaucoup de personnes noires ayant grandis en Europe sont également nées ici et il en est de même pour les afrodescendants de toute la diaspora dans leur pays respectif.
C’est pourquoi ce pseudo retour interroge ; peut-t-on réellement parler de retour si nous sommes nés autre part ? Et si nous sommes plus imprégnés par les normes dans lesquelles nous avons grandi et que nous avons expérimentées dans la diaspora, que par la culture de notre pays d’origine ? Ou bien le terme « retour » est-t-il seulement l’objet d’une idée valide affirmant que nos ancêtres et parents ont été forcés en dehors du continent de différentes façons, et qu’il est en notre devoir ou en notre droit d’y retourner, en tant que communauté ?
Ceci n’empêche de se poser des questions sur la véritable nature de cette volonté de retour au pays, sachant que beaucoup de choses sont intersectées à l’intérieur du projet même.
À savoir : le retour en question n’existe en aucun cas sans révolution puisque l’Afrique subit toujours la colonisation européenne (et chinoise ces dernières années par exemple).
Il est également judicieux de préciser que la révolution implique des formes de solutions radicales qui permettraient de régler un problème tout de même décisif pour l’instant : les leaders africains socialistes et révolutionnaires se font assassiner (par exemple Thomas Sankara au Burkina Faso), et l’état actuel de la situation sur le continent laisse entendre que toute lutte de la part des chefs d’Etats contre les dites « dettes » de l’Afrique ou la néocolonisation, résulteraient, encore et toujours, en tragédies.
Nombreuses de ces questions demeurent sans réponse et pour cause ; le retour au pays est-t-il vraiment inspiré par la volonté de résoudre de réels problématiques, ou bien même de retourner « aux sources » sans pensées militantes, ou est-il seulement encouragé par une inconscience politique dévastatrice ?
Il apparaît en vérité souvent que la « Black excellence », même dans le cas où elle s’exécuterait dans nos pays, ne soit qu’une reproduction de schémas blancs ; de l’ouest, capitalistes et impérialistes.
En effet, la notion de réussite ne repose en général quesur la production, et la consommation.
Nous retrouvons un pattern : naître, habiter et étudier en Europe, puis apporter des connaissances parfois que très peu déconstruites sur le continent africain au nom d’une intention de succès.
Et avec la montée de l’envie d’être « auto-entreprenant » à un jeune âge ainsi que s’enrichir le plus facilement et rapidement possible, ces idées sont fréquemment retrouvées même au sein de la communauté noire.
Si Marx, dès le 19ème siècle, nous dit que l’abolition de la propriété privée des moyens de production (engendrant celle des classes sociales) est indispensable, beaucoup de socialistes noirs africains reprendront des idées similaires pour mener des luttes dans leur pays.
Prenons l’exemple de l’homme politique guinéen Ahmed Sékou Touré qui, en 1953, met en place et prend part dans la grève des 72 jours, militant pour le droit des travailleurs dans son pays et la conscientisation de classe.
Dans sa longue lutte pour l’indépendance et contre le colonialisme, Sékou Touré fait preuve d’un nationalisme noir et d’un patriotisme en faveur de son pays, ou même de toute l’Afrique de l’Ouest.
Ce patriotisme aurait eu des failles selon l’avis de Léopold Sedar Senghor par exemple, affirmant une forme de dictature exercé par Touré.
Globalement, le régime de Touré paraît être le sujet d’une controverse assez importante en Guinée, partageant d’un côté ceux considérant le patriote panafricain comme un tirant non-démocrate ayant bifurqué vers un régime autoritaire à partir des années soixante, et de l’autre les guinéens considérant l’ancien président comme un héros national de l’indépendance, en niant les récits faisant référence à des massacres par Touré et désignant la France comme seule responsable de la situation critique.
Quoi que l’on en pense, il constitue l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et nous aide à affirmer, notamment grâce à l’évènement de 1953, que nous pouvons développer un nationalisme noir tout en gardant des qualités humaines dans ses principes. Dans le nationalisme noir, il ne s’agit pas de répliquer les mécanismes du colonialisme qui nous a assujetti en tant que peuple dans un premier temps, et ça encore moins sur le continent africain lui-même.
Ainsi, il y a une claire distinction entre le désir de stabilité financière totalement rationnel et une obsession pour la richesse abusive.
Soulignons bien : aucun milliardaire ne doit sa fortune à autre chose que l’exploitation et l’asservissement d’autrui.
C’est pourquoi, deux choses :
La première, le concept de « Black excellence » est siéquivoque qu’il est nécessaire de spécifier quelle oppression des classes les plus pauvres n’est pas plus acceptable car elle est effectuée en Afrique par des noirs influencés par des normes européennes. Au sens communautaire, c’est même pour nous, en tant que noirs, peut être pire.
Secondement, l’Afrique est déjà perçue comme un moyen plutôt qu’une fin par les empires coloniaux actuels, et ça depuis la conférence de Berlin en 1884-1885. Le désir de s’enrichir individuellement là-bas en feignant une tentative d’aide ou de modèle n’est-t-il pas directement ancré dans l’exact même type d’état d’esprit hiérarchique et oppressif ?
En réalité, l’idéologie coloniale assurant que le continent africain et ses peuples noirs auraient besoin d’exemples de civilisation ainsi que d’assistance, présente les mêmes traits formateurs, malgré des différences fondamentales évidentes, que la partie de la communauté noire voyant le capitalisme comme un modèle économique idéal.
Il est théoriquement et pratiquement impossible de résoudre un problème par le problème lui-même, et, réalistiquement, impératif de se résoudre aux initiatives collectives.
En somme, on part du postulat que le paradigme capitaliste inconscient sur la question de retour au pays cache une volonté de « succès occidental » plaçant son point cardinal sur la croissance économique individuelle.
Il me paraît donc essentiel d’aborder à présent lerévolutionnaire Kwame Ture (ou Stokely Carmichael) dont nombreux des discours donnés et discussions rediffusées concernent le communisme et le système capitaliste, ainsi que le panafricanisme.
Il affirme en 1979 : « We live in a capitalist system which seeks to exploit the people and therefore keep the people confused. (…) If we took a poll of the American people and ask them about communism, would you agree with me that at least ninety percent of the people we ask in America would be against communism? And if we ask this ninety percent ‘what is communism?’, would you agree with me that less than point two percent could probably give us an intelligent, though not necessarily, correct answer? ».
Et ce discours est toujours applicable aujourd’hui. En réalité, il apparaît que le capitalisme fonctionne de telle sorte à ce que le système lui-même cherche à faire croire aux personnes exploitées qu’elles ne puissent s’épanouir ou même exister dans un système autre que celui-ci, donc un système qui exploite et arrache leur labeur. Le capitalisme ne vole rien, mais est structuré de telle manière à ce qu’il rende légale l’exploitation à proprement parlé.
En reprenant le fondement de ce que nous enseigne le panafricain Kwame, il semblerait qu’une grande partie de la communauté noire tendant au capitalisme ne serait que simplement très peu instruite sur les autres façons de fonctionner en tant que groupe, en utilisant d’autres manières que de s’entre-tuer ou exploiter les siens.
Cette réflexion n’a évidemment pas dans sa visée d’extirper quelconque forme de culpabilité à la petite bourgeoisie noire, ou ceux qui profitent du système car financièrement privilégiés.
Cependant, voici une autre citation de Ture venant d’un discours sur la class struggle, nous aidant sur ce point : « The African bourgeoisie is the most corrupt bourgeoisie in the world. In Africa, they seek luxury in the midst of mass suffering (…) In America, as soon as they arrive at a position based on the blood of the people, they snatch that position and run away from the people. But you must not think that they represent the people, they only represent their opportunistic self, using the people every step of the way. (…) The class struggle in the African Revolution must be more ruthless and uncompromising than any other revolution. (…) If you want to learn something from the sixties, the lesson is simple, organize the masses of the people. »
Ture nous apprend que : la révolution est indispensable mais avant tout inévitable, et que la petite bourgeoisie noire, pensant pouvoir accomplir la tâche irréalisable qu’est d’obtenir un siège autour de la table des oppresseurs et imiter la bourgeoisie blanche, n’est pas, et ne doit nécessairement jamais être, le porte-parole de cette révolution.
S’il y aune chose sur laquelle nous pouvons conclure, c’est que la libération Noire n’a jamais reposé, ne repose pas, et ne reposera jamais sur des initiatives individuelles sans abolition du système en place.
Une seconde chose serait que le concept de luxe, ou même de progrès et de développement, n’est qu’une ficelle tirée d’un jeu aux règles dangereuses qui ne profitent qu’à une élite définissant ceux qui sont en dessous, ainsi que son propre maintien. Ainsi, l’émancipation du peuple noir ne peut passer par ça.
En ce qui concerne le point de départ de cette réflexion qu’est le problème concret de la volonté de retourner sur le continent, il n’existe d’autre solution que de se demander au préalable les raisons pour lesquelles nous souhaitons le faire. Un travail d’introspection et de réflexivité sur les notions qu’on a acquises en grandissant en dehors du continent s’impose alors quand il s’agit de démanteler n’importe quelle partie du système, ou d’effectuer des pas vers le mieux.
De manière certaine, des issues n’impliquant pas la prolifération d’idées oppressives qui heurteraient nos propres peuples existent, et sont peut-être plus proches que ce que l’on pourrait penser.
Si cette réflexion n’a pas pour but de trouver des solutions parfaites et absolues sur l’organisation d’une révolution, elle prône tout de même le concept de dissolution, suivant les pas et discours de nos frères et sœurs du siècle dernier dont il est essentiel d’écouter les paroles en préservant sens critique et humilité.
Esaïe