Migration : double peine pour les femmes réfugiées

« Dans un petit village de Somalie, baignée par les doux rayons du soleil et caressée par les brises marines, mon prénom est Aicha. J’ai grandi au sein d’une famille affectueuse, entourée de sœurs et de frères. Toutefois, lors de mon dixième anniversaire, ma vie a pris un tournant inopiné. Ma tante, envers qui je portais beaucoup d’amour, est venue nous rendre visite. Tout excitée, je me suis vêtue de ma robe préférée pour l’accueillir. Cependant, dès son arrivée, j’ai pu percevoir une différence chez elle, son visage était empreint d’une nervosité inhabituelle. S’en sont suivis des surprenants éclats de voix entre elle et ma mère. Ma tante, avec dureté, demanda à ma mère de suivre les traditions, mais ma mère, blessée par le passé, refusa catégoriquement. Elle lui hurla que ces traditions lui avaient déjà pris deux de ses filles, et elle jura qu’elle n’en perdrait pas une troisième. Ce jour joyeux se transforma en cauchemar. Je m’enfermai dans ma chambre pour pleurer. Ma tante se hâta vers ma chambre et me tira brusquement par le bras, m’entraînant à travers le salon, où ma mère, poussant des cris de désespoir, se débattait sous la poigne de mon père. Docilement, je me laissai entraîner par ma tante. Elle m’amena chez trois femmes qui me sourirent gentiment, tentant de me rassurer. L’une d’elles prépara une salle, m’invitant à m’allonger sur un tapis. Cette dernière revint, par la suite, avec une série de pratiques que je n’oublierai jamais.

Six longues années passèrent, marquées par une douleur physique et psychologique.

Je me baignais dans la rivière avec de l’eau claire et rafraîchissante quand soudain, ma tante réapparut. Me découvrant dévêtue, elle sembla inquiète. Elle s’approcha de moi et murmura quelques mots à voix basse, exprimant son désarroi. « Ce n’est pas bien fait » répéta-t-elle. Puis, elle retourna à la maison où j’entendis des éclats de voix similaires à ceux qui m’avaient tourmentée dans le passé. Ma tante jura à ma mère qu’elle reviendrait demain, que personne ne me croirait si je disais que je suis mariable.
Le soir, ma mère vint me réveiller et me remit un sac à dos contenant une petite somme d’argent. Son visage, inondé de larmes, elle me dit que j’étais une fille intelligente, destinée à un avenir meilleur, en Belgique, loin des souffrances que j’avais endurées.
C’est ainsi que commença mon voyage vers un avenir incertain. Mon histoire, marquée par la douleur, était loin d’être terminée.

Deux années ont passé, et aujourd’hui, à l’âge de dix-huit ans, je me retrouve au Commissariat Général Aux Réfugiés et Aux Apatrides (CGRA).

Je me tiens dans une salle, accompagnée d’un interprète. Mon avocat n’est pas présent, il semble avoir rencontré un problème. Face à moi se trouve une dame qui me pose des questions. Je peine à m’exprimer, la fatigue m’accable et les questions posées me troublent, je ne veux pas en parler. L’envie de pleurer me submerge mais je retiens mes larmes. La dame fronce les sourcils, s’étonne de ma difficulté à répondre. Elle me demande pourquoi je ne peux pas retourner là-bas. Je lui explique que je crains de revivre ces souffrances. Elle m’interrompt en me disant que j’ai déjà enduré cette épreuve, que des médecins ont confirmé que j’avais subi une excision et que je ne devrais plus craindre de persécution maintenant. Elle est dubitative. Je me souviens de très peu de choses concernant ma tante, mon enfance, les disputes. Je lui fais comprendre que mon amour pour la vie s’est éteint il y a huit ans, qu’il est mort en même temps qu’une partie de moi ce jour-là.

Le temps passe, la décision tombe, c’est un refus. Mon récit est jugé non crédible, et on estime que je ne suis « plus vraiment » sujette à la crainte de persécution. Qu’est-ce que ça fait mal de ne pas être crue. »

Les mutilations génitales féminines (MGF), représentant une forme de violence basée sur le genre, constituent l’un des motifs permettant l’octroi du statut de réfugié. Toutefois, il est essentiel de remplir les conditions énoncées à l’article 1er de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. D’après cette disposition, le statut de réfugié est accordé à toute personne se trouvant en dehors du pays où elle avait sa résidence habituelle et craignant avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

Dans la pratique, les autorités belges reconnaissent généralement que les MGF constituent un acte de persécution justifiant une protection si elles remplissent les critères énoncés à l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980. Néanmoins, il est complexe de prouver une crainte de persécution en cas de retour dans son pays d’origine (=condition pour obtenir le statut de réfugié) lorsque l’individu risque d’être réexcisé après avoir déjà subi une excision. À ce sujet, les pratiques et la jurisprudence varient. En effet, étant donné que la crainte de persécution ne se justifie que si le risque de persécution à son retour est élevé, les autorités peinent à envisager qu’il subsiste un risque de réexcision. Il est plus facile de fuir le risque actuel d’une première excision.

Cependant, le Conseil du contentieux des étrangers, instance de recours des décisions du CGRA, insiste pour que le refus ne se fonde pas uniquement sur le risque de réexcision, mais également sur d’autres éléments probants subjectifs (passé, personnalité et crainte) et objectifs (informations sur le pays et pratique) présents dans le dossier de la migrante. Autrement dit, même s’il existe des preuves médicales de l’excision initiale de la migrante, la crédibilité du récit ne peut être réduite au faible risque de réexcision. Toutefois, il faut garder à l’esprit que fournir des preuves peut s’avérer difficile dès lors que la fuite des persécutions se fait généralement dans l’empressement, rendant ainsi la production de ces dernières difficiles.

Il convient néanmoins de noter que la jurisprudence francophone établit une distinction entre les excisions de type III (infibulation) et les autres types d’excision (clitoridectomie, excision et catégorie résiduaire), reconnaissant un risque plus élevé de réexcision pour celles de type III. Ainsi, les décisions du Conseil du contentieux des étrangers procèdent souvent à l’annulation des refus du CGRA reprenant comme argument qu’il n’existe aucun risque de réexcision sous prétexte que les premières interventions seraient de type I, II ou IV (voir not.l’arrêt 60622 du 29/04/2011). La jurisprudence néerlandophone ne fait pas de distinction à cet égard.

Malgré l’intervention du Conseil, le mécanisme de réexcision lié aux types d’excisions autres que celles de type III semble demeurer encore méconnu aujourd’hui au sein du CGRA. Pour les personnes qui ont subi de tels traumatismes, la décision du CGRA semble sonner comme une double peine. La parole de ces femmes migrantes est remise en question, niant ainsi leur vécu, décrédibilisant leur parole et abolissant toute compassion. Plus encore, le parcours des migrantes, en raison de leur sexe, est souvent jalonné d’autres agressions sexuelles. À cet effet, la situation désastreuse des migrantes en Libye, où l’esclavage sexuel est pratiquement inévitable, peut faire office d’exemple. De nombreuses prises de parole de jeunes filles subissant des viols répétés, parfois devant un public, alors qu’elles tentent simplement de fuir les persécutions dans leur pays d’origine, se libèrent. Il est tragiquement constaté que certaines femmes tombent même enceintes des gardiens, parfois même de manière délibérée, afin de survivre en obtenant de la nourriture.

L’objectif de cet article est de partager ma compassion envers toutes les femmes d’Afrique endurant des violences basées sur le genre et venant chercher un refuge en Europe. À travers mes mots, je souhaite sensibiliser au fait que ces souffrances commencent par une première blessure (la persécution), puis au fil du parcours, on replante un couteau dans la plaie (la situation en Lybie), et en fin de compte, on aggrave ces douleurs en niant ce qui a été vécu (le refus du CGRA). En rédigeant cet article, j’ai voulu susciter une prise de conscience, encourager les gens à s’intéresser à ce que vivent ces femmes, provoquer la compassion, et exhorter à l’action. L’écriture est une façon de faire, devenir avocat en est une autre, faire des dons encore une autre, etc. L’essentiel étant de contribuer au changement et d’œuvrer ensemble pour un monde où ces femmes se sentent soutenues.

Marie Chloé Kuzekemena

Sources
o Conseil du contentieux des étrangers, arrêt 60622 du 29/04/2011, disponible sur https://www.rvv-cce.be/fr/arr/apjfmsry.html/date/2011?search_arr=60622.

o « Les femmes en fuite », disponibles sur https://www.unhcr.org/dach/ch-fr/les-femmes-en-fuite.

o « Femmes et filles migrantes et réfugiées », disponible sur https://www.coe.int/fr/web/genderequality/migrant-and-refugee-women-and-girls.

o « Les femmes dans la migration internationale : Étude d’un parcours migratoire sous le prisme du genre », disponible sur https://igg-geo.org/?p=11536.

o « Libye un « enfer » absolu pour les femmes migrantes « , disponible sur https://information.tv5monde.com/afrique/libye-un-enfer-absolu-pour-les-femmes-migrantes-35752.

o « Mutilations génitales féminines et protection internationale », J.D.J., 2022/9, p. 5-19, disponible sur https://www-stradalex-com.ezproxy.ulb.ac.be/fr/sl_rev_utu/toc/jdj_2022_9-fr/doc/jdj2022_9p5.

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