Exploration des complexités du passé colonial belge : limites et perspectives

L’histoire coloniale de la Belgique, longtemps reléguée aux marges du discours public, a connu une transformation significative au fil des années, marquée par un changement perceptible dans le discours officiel du pays. Sous l’impulsion croissante de la société civile, la Belgique s’est trouvée confrontée à son passé colonial, forçant ainsi une réévaluation profonde de ses actions et de leurs conséquences. Au centre de ce questionnement, la Commission spéciale créée en 2020 incarne une volonté de faire face aux héritages complexes et souvent douloureux du colonialisme belge. Cette commission ambitieuse avait pour objectif de traiter les injustices passées et contemporaines, visant une réconciliation entre les Belges et les peuples congolais, rwandais, et burundais. Elle était chargée d’examiner les actions coloniales de la Belgique, d’en évaluer l’impact structurel à long terme et de proposer des pistes pour y remédier et d’examiner en profondeur l’histoire coloniale de la Belgique en Afrique centrale. Toutefois, derrière cette démarche honorable se dessinent des contours difficiles à dépasser. Les enjeux des excuses, des réparations, et de la responsabilité ont été au cœur des débats, exposant les défis inhérents à une démarche décoloniale. Le 19 décembre 2022, cette commission a conclu ses travaux sans adopter aucune recommandation formelle. En l’absence de recommandations finales, les travaux de la Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial de la Belgique ont laissé un goût d’inachevé. Beaucoup de questions demeurent.

Cet article explore comment la Belgique, malgré son aspiration à la décolonisation, peine à trouver une réponse appropriée à son passé colonial et aux défis contemporains qui en résultent.

En principe, la gestion politique d’un passé colonial comprend plusieurs étapes, notamment la reconnaissance des torts, l’acceptation de responsabilités, les excuses, et la réparation pour les préjudices. Les excuses, considérées comme essentielles pour débloquer le narratif colonial, ont été la principale cause de désaccord au sein de la commission. La question des réparations a également constitué un aspect central, impliquant la restitution de biens, la reconnaissance des torts ou encore l’établissement d’une relation égalitaire. Malgré des efforts titanesques, la commission n’a cependant pas réussi à s’affranchir du cadre néocolonialiste, cristallisant ses limites, particulièrement dans le domaine délicat des excuses.

Tout d’abord, la composition de la commission a été critiquée pour son manque de diversité et de représentativité, notamment l’absence d’historiens d’origine rwandaise ou burundaise. De plus, l’absence de descendants des peuples colonisés a été perçue comme une forme de domination symbolique. La méthode employée, caractériséé par une approche « top-down », a été critiquée pour sa tendance à reproduire un mode de production de savoir typiquement occidental, éloignant les perspectives des victimes réelles du colonialisme. Afin d’instaurer une plus grande équité dans le processus, il aurait été judicieux que la commission s’engage davantage dans une démarche inclusive et participative, collaborant étroitement avec les communautés colonisées. Ceci aurait permis d’assurer une représentativité équitable, de renforcer la légitimité de la commission, et de contribuer à une compréhension plus nuancée des conséquences du passé colonial belge.

Lors de ses travaux, la commission a eu recours au droit international pour examiner la responsabilité de la Belgique pour le colonialisme. Or, les lacunes historiques dans la reconnaissance des droits violés pendant la colonisation rendent difficile l’établissement d’une obligation juridique de réparation. En effet, le droit international exige que les actes d’un État soient jugés illégaux non seulement au moment actuel, mais également à l’époque de leur commission. Cela crée des obstacles significatifs dans le cas du colonialisme car la période de colonisation, souvent caractérisée par des exactions graves, s’est déroulée à une époque où de nombreux droits humains n’étaient pas encore reconnus internationalement. En refusant la responsabilité juridique sur cette base, la Belgique maintient un système juridique injuste et manque l’opportunité de créer un cadre plus décolonial.

Les divergences d’opinion sur le colonialisme sont apparues lors des auditions, mettant en lumière deux attitudes distinctes : l’insistance sur les effets durables des injustices historiques et la remise en question des normes utilisées pour juger le passé. En ce qui concerne les réparations appropriées, les opinions varient entre des mesures axées sur les conséquences structurelles de la colonisation et des réparations financières. À mon sens, les réparations devraient se concentrer sur les conséquences structurelles de la colonisation, en s’attaquant à la persistance d’injustices institutionnalisées. Le passé colonial a légitimé un racisme systémique et les travaux de la commission semblent avoir minimisé certaines questions liées aux répercussions contemporaines de la colonisation. Concrètement, l’enjeu des réparations est de permettre aux Afro- descendants, qui subissent actuellement les conséquences du régime colonial, de se réapproprier la parole et proposer des solutions à cette situation préjudiciable. Sur ce point, le groupe d’experts qui accompagnait la commission a émis plusieurs recommandations pertinentes dont l’instauration d’une journée de commémoration, la restitution d’objets pillés, la déclassification des archives, l’élaboration d’un plan d’action national contre le racisme, la mise en place d’un système d’enseignement sans concepts inspirés de la propagande coloniale ou encore la confection d’un monument en hommage aux victimes des « zoos humains ». Bien que ces recommandations n’aient pas fait l’objet d’un accord unanime, elles fournissent des orientations essentielles pour surmonter les obstacles, allant de la commémoration à la restitution des objets pillés.

En octobre 2023, le SPF Justice a lancé un programme d’initiatives visant à mettre en avant les contributions des personnes Afro-descendantes, en conformité avec une résolution adoptée par l’Assemblée générale en 2013. Cette démarche s’inscrit dans la lutte contre les discriminations racistes actuelles, en harmonie avec la dernière année de la « Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine». Pour entamer l’année 2024, l’État belge envisage d’établir un financement structurel dédié aux associations promouvant l’égalité des chances et des genres, et, par extension, investies dans la lutte contre le racisme. Malgré le fait que ce progrès positif ne résolve pas directement les déficiences de la commission, il constitue un exemple inspirant d’approche pour aborder cette problématique complexe. Il est essentiel de souligner qu’en dépit des lacunes de la commission, des actions concrètes semblent être mises en œuvre pour remédier aux inégalités persistantes héritées du passé colonial. Cette lueur d’espoir ouvre ainsi la voie à une réconciliation future plus efficace.

En définitive, la Commission spéciale sur le passé colonial belge, bien que porteuse d’ambitions louables, a révélé des limites importantes. L’approche adoptée, la composition de la commission et le recours au droit international soulignent la nécessité d’une réflexion plus approfondie sur la manière dont les États occidentaux abordent leur passé colonial. La responsabilisation, la réconciliation et les réparations nécessitent une approche plus inclusive et décoloniale pour créer un avenir fondé sur la justice et l’égalité. Malgré l’ambition d’émancipation, la commission semble avoir maintenu, dans une certaine mesure, une perspective coloniale, soulignant ainsi la nécessité d’une remise en question profonde des structures et des pratiques. La voie vers la décolonisation exige une remise en question profonde des structures et des pratiques, ainsi qu’une volonté de prendre des mesures tangibles pour remédier aux inégalités persistantes héritées du passé colonial. La route vers la réconciliation est parsemée de défis, mais elle offre également la possibilité de bâtir un avenir commun, où les peuples peuvent partager une histoire commune, non plus marquée par la domination et l’exploitation, mais par la compréhension mutuelle et la coopération véritable.

La Belgique, et d’autres nations confrontées à leur passé colonial, ont la responsabilité de saisir cette opportunité et de façonner un avenir qui reflète les valeurs universelles de justice, d’égalité et de respect des droits fondamentaux.

Anouchka Anaïs Kalala

Sources :
 Chambre des représentants, Commission spéciale chargée d’examiner l’État indépendant du Congo et le
passé colonial de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi, ses conséquences et les suites qu’il
convient d’y réserver, DOC 55 1462/001, 17 juillet 2020.
 V. Rosoux, « Comment les partis négocient-ils la décolonisation ? Le cas de la Belgique », 2 février
2023, disponible sur https://asf.be/?lang=fr.
 F. Declercq, « Passé colonial : la Belgique manque un tournant de son histoire », 19 décembre 2022,
disponible sur http://www.lesoir.be.
 Rapport de la société civile afro descendante en préparation de la Commission de Vérité au Parlement
Fédéral, 24 septembre 2020.
 Le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discrimination, « Du déni à la négation : la Belgique
refuse de faire face à son sinistre passé colonial », 20 décembre 2022, disponible sur
http://www.memoirecoloniale.be.
 T. Achiume, Réparations dues au titre de la discrimination raciale qui trouve son origine dans l’esclavage et le colonialisme, Rapport A/74/321 des Nations Unies, 2019.
 V.-B. Rosoux et S. Planche, « Passé colonial et politique étrangère de la Belgique », Egmont Institute.
 Dikiefu Banona et J.-S. Sépulchre, « Passer des regrets aux réparations », 30 juin 2020, disponible sur
https://www.levif.be.
 « Sans dignité, il n’y a pas de liberté », disponible sur https://pour.press/author/pourexterne/.
 “Décennie pour les Afro-descendants : la Belgique lance enfin son programme, 24 octobre 2023,
disponible sur https://www.lesoir.be.

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