Détroit va t-elle sauver le rap mainstream ?

Détroit est une ville paradoxale ; elle possède plusieurs visages. En effet, elle représente la Mecque de la musique Noire grâce à la Motown et à son héritage, mais c’est aussi une des villes américaines les plus pauvres. Elle possède également l’un des taux d’homicide les plus élevés des USA. Néanmoins, ces dernières années, on entend souvent parler de Détroit pour sa musique, avec des artistes comme Babyface Ray, 42Dugg, Peezy, Sada Baby, Babytron et bien d’autres, qui posent sur des instrumentales particulières.
Cet article a donc pour but de discuter de cette scène et de son histoire. Il traitera du rap de Détroit en tant que genre, et pas seulement des rappeurs originaires de la ville. Ceci explique l’absence de rappeurs comme Eminem, Big Sean, Dej Loaf ou encore Trick Trick.
Premièrement, on pourrait définir le rap de Détroit comme un style composé de mélodies agressives et rapides au piano, de basses 808 (https://youtu.be/ouXezecgIw8) avec des patterns de percussions inspiré de musique venant de la Louisiane. Ce style a été développé au fur et à mesure des années par différents beatmakers/producteurs notamment Helluva, Payroll Giovanni, Damjonboi, Michigan Meech ou ENRGY.
On peut retracer les balbutiements du rap de Détroit au rappeur Esham, qui a débuté dans les années 80 et qui connaîtra un succès underground.

Esham alliait déjà des percussions inspirées de la bounce musique avec des mélodies rapides provenant de films d’horreur. Cependant, il va falloir attendre la fin des années 90 pour que des rappeurs de Détroit aient du succès dans tout le Michigan. On associe ce succès à deux groupes. D’abord les Street Lord’z comptant notamment la légende du rap de Détroit assassinée en 2005, Blade Icewood a qui de nombreux rappeurs rendront hommage. Secondement, les East Side Chedda Boyz, qui continueront à développer le son typique de Détroit, ainsi que de mettre en avant une esthétique propre à la ville. Nous pouvons citer, parmi les éléments de cette esthétique, les lunettes Cartier ou les voitures américaines qui sont un symbole de Détroit.

Dans la fin des années 2000, le mouvement continu à croître avec les Doughboyz Cashout, un autre groupe de rappeurs dont fait partie un certain Payroll Giovanni qui produit également des instrumentales pour le groupe. Ces instrumentales possèdent des basses 808 et des accords de piano graves, ce qui va par la suite inspirer beaucoup de beatmakers de Détroit. On peut remarquer ces spécificités dans de nombreuses chansons, notamment Mob Life ou We Dem Niggas.
Durant les années 2010, le Bandgang apparaît aux côtés du duo Drego & Beno qui vont poursuivre ce qui a été fait par le passé.
C’est aussi durant les années 2010 qu’un des plus grands architectes de la musique de Détroit se fait remarquer : Helluva. Grâce à ce dernier, la musique de Détroit va prendre une autre dimension lorsqu’il va composer l’instrumentale de la chanson First Day Out de Tee Grizzle. Elle sera la première chanson pouvant être rattachée aux sonorités de Détroit tout en ayant une audience significative mainstream nationale et internationale.

Vers la fin des années 2010, le rap de Détroit va continuer de se développer notamment en abordant de nouveaux thèmes tels que la fraude bancaire qui a été popularisée par le rappeur TeejayX6. Il normalisera aussi l’usage de punchlines humoristiques dans le rap de Détroit avec des chansons comme Swipe Story ou Dynamic Duo avec Kasherquon.

Toutes ces étapes ont permis à la scène du rap de Détroit de devenir ce qu’elle est aujourd’hui, avec des rappeurs qui réinterprètent même le genre. Dans ceux-ci peut être compté BabySmoove qui a des beats avec des mélodies plus laidback notamment dans la chanson Tim & Ginobili ou BabyTron, utilisant des samples qui frisent le mauvais goût. On observe même l’utilisation du troll comme dans Pimp My Ride, Everybody Hates Tron ou Sith lord.
Actuellement, la scène musicale de Détroit se porte plus que bien avec des artistes qui continuent de capter une attention nationale comme 42Dugg. Il est signé dans le label de Lil Baby et a fait plusieurs chansons comptant des dizaines voire des centaines millions de vues comme Bestfriends, We Paid ou Dog Food. Mais il n’est pas le seul ; il y a aussi BabyFace Ray, Veeze, Sada Baby ou Rio Da Yung OG qui cumulent des millions de vues et arrivent à collaborer avec des artistes établis en dehors du Michigan, ou même en Europe. Il y a par exemple la collaboration entre Babyface Ray et Digga D sur le titre Goofies.
Les sonorités propres à Détroit ont même fini par influencer des artistes n’étant pas orginaires du Michigan, tel que Lil Yachty qui a, en 2021, sorti le projet Michigan Boy Boat dans lequel presque tous les titres sont des featurings avec des artistes de Détroit. Le projet compte même des artistes français comme Loto ou Nobodylikesbirdie.
Au regard de l’état actuel du rap, notamment la lassitude du public pour les sonorités d’Atlanta ou de la drill New-yorkaise, le rap de Détroit pourrait constituer une alternative crédible en tant que source d’inspiration majeurs pour le rap mainstream tout en usant de punchlines amusantes et de beats qui se distinguent.
Le rap de Détroit a pu prendre son temps pour se construire, se développer et se propager à travers les États-Unis. Il est donc, maintenant, un style de musique ayant le triomphe qu’il mérite.
Thomas
