Les peuples autochtones d’Afrique centrale : gardiens de la forêt et victimes d’injustices

Depuis plus de 20 000 ans, les peuples autochtones d’Afrique centrale – souvent désignés sous le terme « Pygmées », perçu comme dénigrant – habitent les forêts tropicales denses du bassin du Congo.

Ces communautés ancestrales, telles que les Baka, Bagyeli, Aka, Mbuti et Batwa, vivent en interdépendance avec la forêt, qui est à la fois leur maison, leur pharmacie, leur garde-manger et leur espace spirituel.

Pourtant, malgré cette ancienneté et leur rôle clé dans la préservation des forêts, ces peuples autochtones sont aujourd’hui confrontés à une marginalisation alarmante, à des violations de leurs droits fondamentaux et à une lutte permanente pour la reconnaissance de leur existence.

Un peuple ancien, dépossédé et marginalisé

Historiquement nomades, ces peuples sont aujourd’hui forcés d’abandonner leurs modes de vie traditionnels, sous la pression croissante de la déforestation, de l’industrialisation forestière et de la création de parcs protégés sans consultation préalable.

Au fil des décennies, des zones entières ont été requalifiées en aires protégées ou terres agricoles, expulsant les peuples autochtones sans indemnisation ni compensation, en totale violation du droit international. L’extension de la Réserve de Faune à okapis en RDC en 1975 ou encore les plantations industrielles dans la Likouala sont des exemples criants de cette dépossession systématique.

Discriminations sociales et exclusion économique

La marginalisation des peuples autochtones ne se limite pas à la terre. Le racisme est encore très ancré :

• Ils se voient refuser les mariages mixtes

• Interdits de manger à la même table que les Bantous

• Soumis à des conditions de travail proches de l’esclavage dans les plantations, rémunérés en nourriture ou alcool

Comme en témoigne un jeune Bagyeli : « Même lorsque l’argent issu de l’exploitation forestière tombe, on ne nous donne qu’un peu de riz, de sel, d’huile. Nous perdons chaque jour la forêt qui est tout pour nous » (Le Monde, 2021).

Cette exclusion est renforcée par leur manque d’accès à la justice, souvent incapables de lire ou rédiger une plainte et intimidés par les figures d’autorité administratives.

Santé et éducation : des droits fondamentaux sacrifiés

Les conditions de vie de ces peuples autochtones sont caractérisées par l’extrême précarité sanitaire. Ils n’ont qu’un accès limité aux centres de santé, trop éloignés ou financièrement inaccessibles. Et tandis qu’ils recourent encore aujourd’hui à leur pharmacopée traditionnelle issue des plantes, des écorces et de la forêt en elle-même, le fait d’y recourir est aujourd’hui compromis et limité par la destruction de leurs forêts.

Les femmes autochtones sont, quant à elles, victimes de violences sexuelles amplifiées par certaines croyances comme celle selon laquelle coucher avec elles guérirait certaines maladies. Ces agressions, souvent commises par les Bantous, augmentent la transmission des IST, du VIH et les taux de mortalité maternelle et infantile. En effet, on constate des viols, des enlèvements, et des meutres sur les femmes pygmées.

En matière d’éducation, les chiffres sont tout aussi alarmants : au Cameroun, 69% des enfants Bagyeli n’ont pas d’acte de naissance, ce qui limite leur accès à l’école, à la citoyenneté et aux aides sociales.

Une relation saine avec la nature

Contrairement aux représentations erronées, les peuples autochtones ne sont pas des prédateurs de leur environnement. Leurs pratiques respectueuses, basées sur une gestion raisonnée de la chasse et de la cueillette, contribuent activement à la préservation des écosystèmes.

Au Congo, dans le massif forestier de Walikale, leur mode de vie a préservé la biodiversité bien plus efficacement que les zones sous exploitation industrielle ou protection étatique classique.

Des outils comme la cartographie participative, initiée dans les années 2000, ont permis aux communautés de matérialiser leurs territoires et de défendre leurs droits face aux projets destructeurs. Notamment face aux exploitants forestiers et pétroliers.

Quelques avancées encore fragiles

Cependant, des efforts législatifs récents méritent d’être soulignés. En 2022, la RDC a adopté une loi pionnière garantissant des droits spécifiques aux peuples autochtones. Mais, l’application de cette loi reste inégale et lente.

Au Rwanda et au Burundi, les Batwa demeurent les populations les plus marginalisées, victimes de discrimination systémique, d’exclusion des services sociaux et de pauvreté extrême.

Conclusion

Les peuples autochtones d’Afrique centrale incarnent une autre vision du monde, fondée sur la sobriété, la coexistence et le respect des cycles naturels.

Pourtant, ils paient au prix fort leur différence. Entre dépossessions, violences, et injustices, leur lutte est celle de la dignité humaine.

Face aux pressions de l’exploitation forestière et à l’oubli institutionnel, protéger ces communautés revient à défendre non seulement les peuples, mais aussi un modèle culturel profondément respectueux de l’environnement – une leçon essentielle pour l’avenir de l’humanité.

Glodi P. Odimba

Bibliographie et sources

• Le Monde, « Pygmées en lutte » (2021-2022)

• Amnesty International, Pygmées : marginalisation et lutte pour les droits fonciers en Afrique centrale (2022)

• Minority Rights Group International, World Directory of Minorities and Indigenous Peoples – Central African Republic: Pygmies (2023)

• Rainforest Foundation UK, The Right to Land and Livelihoods, rapport 2023

• Observatoire Congolais des Droits de l’Homme, Rapport annuel sur les peuples autochtones, 2022

• Greenpeace Africa, Congo : Loi sur les peuples autochtones (2022)

• UN Human Rights Council, Reports on Discrimination and Indigenous Rights (2023)

• Navigateur autochtone, chiffres sur les enfants Bagyeli, Cameroun, c o n s u l t é 2 0 2 4

• Survival International, The World’s Most Threatened Tribes : Pygmies, 2021

• CNCD-11.11.11, Les droits des peuples autochtones d’Afrique centrale : enjeux et perspectives, 2023

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