Bujumbura, automne 1961. Dans un climat d’euphorie nationaliste, la foule acclame l’émergence d’un nouveau Premier ministre : Louis Rwagasore, nommé le 28 septembre 1961, incarnation de l’espoir d’un Burundi libre, uni et souverain. Le 13 octobre 1961, c’est l’effroi : Rwagasore tombe sous les balles d’un tueur, dans un contexte de préméditation politique où plane l’ombre de l’ancienne puissance coloniale.
Cet article revient sur cet assassinat, analyse les enjeux politiques de l’époque et interroge le rôle trouble joué par la Belgique.
Louis Rwagasore, une figure méconnue de l’histoire africaine
Ce nom reste largement méconnu hors du Burundi, pourtant, Louis Rwagasore compte parmi les grandes figures de la lutte pour l’indépendance africaine. Fils aîné du roi Mwambutsa IV Bangiricenge et prince burundais, il incarne dès les années 1950-60 un leadership charismatique et visionnaire, porteur d’un projet d’unité nationale et de prospérité.
Né en 1932, formé dans les meilleures écoles du Ruanda-Urundi puis en Belgique, il développe des idéaux progressistes et nationalistes. De retour au pays en 1956, il s’oppose frontalement à l’administration coloniale en fondant des coopératives indigènes, perçues comme des outils de résistance économique par les autorités belges.
Contexte colonial : une tutelle belge clivante
Sous tutelle belge depuis 1916, le Burundi est administré via une alliance avec l’aristocratie locale, une stratégie qui exacerbe les divisions ethniques et sociales. Rwagasore défie cet ordre en promouvant l’autonomie économique et politique, ce qui lui vaut la méfiance des autorités coloniales.
L’UPRONA et la menace pour les intérêts belges
Dans les années 1950, l’Union pour le Progrès National (UPRONA), mouvement indépendantiste fondé par Rwagasore, prône une rupture immédiate avec la colonisation. Face à cette menace, la Belgique soutient le Parti Démocratique Chrétien (PDC), favorable à une transition plus graduelle.
L’ingérence coloniale culmine lors des élections communales de 1960 : Rwagasore est placé en résidence surveillée, affaiblissant artificiellement l’UPRONA.
En effet, malgré sa mise en résidence surveillée, il mène l’UPRONA à une victoire écrasante aux élections législatives de septembre 1961, supervisées par l’ONU. Son mandat est brutalement interrompu le 13 octobre 1961, lorsqu’il est assassiné dans des circonstances floues, impliquant ses rivaux politiques et, potentiellement, des intérêts coloniaux belges.
Sa victoire électorale scelle donc son destin tragique.
L’assassinat et les complicités suspectes
Le 13 octobre 1961, Rwagasore est abattu à Bujumbura par Jean Kageorgis, un Grec lié aux milieux d’affaires coloniaux. Bien que Kageorgis soit condamné à mort, des archives belges révèlent des indices accablants. Une déclaration du haut fonctionnaire Roberto Regnier est découverte : « Il ne reste qu’une chose à faire : tuer Rwagasore ». Aucune enquête ne sera ouverte contre lui.
L’intervention personnelle du roi Baudouin pour commuer la peine de Kageorgis suggère alors une volonté d’étouffer l’affaire.
Ces éléments, mis en lumière par les travaux de l’historien Ludo De Witte, pointent vers une possible complicité belge.
Conclusion : un héritage à réhabiliter
Rwagasore demeure le symbole d’un Burundi uni et souverain. Son assassinat, fruit d’un complot politique aux ramifications coloniales, appelle à une reconnaissance officielle des responsabilités en jeu.
Comme pour Patrice Lumumba, une commission d’enquête parlementaire belge s’impose pour mettre en lumière ce crime, et rendre justice à la mémoire d’un héros africain occulté.
Nexsel
Sources :
Cazenave-Piarrot, A. (2002). Joseph Gahama, Le Burundi sous administration belge. Outre-mers, 89(334-335), 666–667.
Deslaurier, C. (2010). Louis Rwagasore, martyr de l’indépendance burundaise. Afrique contemporaine, 235(3), 68–69. https://doi.org/10.3917/afco.235.0068
Deslaurier, C. (2013). Rwagasore for ever ? Des usages contemporains d’un héros consensuel au Burundi. Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 118(2), 15–30. https://doi.org/10.3917/ving.118.0015
De Witte, L. (2021). Meurtre au Burundi. La Belgique et l’assassinat de Rwagasore. Bruxelles–Bujumbura : Éditions Iwacu.
Poppe, G. (2015, septembre 16). The murder of Burundi’s prime minister, Louis Rwagasore. Afrika Focus, 28(2). https://doi.org/10.21825/af.v28i2.4874
