Les constructions de l’amour dans la diaspora

Le black love fait référence à l’amour, à la relation qu’il peut y avoir entre deux personnes noires, afro-descendantes, et donc généralement en dehors de l’Afrique. Le black love ne se limite pas aux sentiments mais s’inscrit aussi dans un mouvement de résistance général, dans un contexte où nous sommes trop souvent dévalorisés en tant que groupe : le black love, c’est l’amour de soi mais également l’amour du groupe au quotidien, dans nos cultures, dans nos projets et dans l’image que nous construisons de nous-même en tant que communauté.

Beaucoup de filles ont ressenti en grandissant une forme de dénigrement de la part des garçons, comme si les hommes noirs avaient tendance à préférer les autres filles voire carrément trouver les filles noires, leurs « sœurs », repoussantes. Bien sûr, même si rares sont les garçons déclarant ne pas du tout être attirés par les filles noires, le sentiment de dénigrement existe bel et bien.

Il ne sera pas ici question de réexpliquer le colorisme et son rôle dans les discriminations particulièrement subies par les femmes noires, mais d’essayer de comprendre pourquoi malgré les épreuves que nous traversons en tant que communauté, certains hommes noirs préfèrent se désolidariser des femmes noires, parfois dès le plus jeune âge.

Dans les sociétés occidentales, l’idéal masculin est généralement associé à la force physique, la virilité, l’indépendance financière, la réussite professionnelle, la confiance en soi, la rationalité et le contrôle de ses émotions ; l’homme idéal est un leader, courageux et capable de prendre des décisions. L’idéal féminin est plutôt associé à la beauté physique (conforme aux normes de la société), la douceur, la compassion, la sensibilité émotionnelle, la maternité et la gentillesse ; la femme idéale est délicate, belle et dévouée à ses proches.

Pour les personnes ayant évolué dans un environnement Blanc et privilégié, le colorisme joue probablement un rôle encore plus important dans le dénigrement des femmes noires. En ce qui concerne les personnes ayant évolué dans un environnement Noir et défavorisé, d’autres concepts pourraient avoir un poids plus important encore dans le dénigrement subi par les femmes noires. L’un de ces concepts est la matrifocalité.

Le terme matrifocalité, inventé par le professeur d’anthropologie Raymond Thomas Smith pour son ouvrage « Matrifocality » paru en 2014, désigne l’importance des femmes dans la maintenance de la structure familiale et ce principalement dans les familles évoluant dans un contexte de domination raciale et de domination de genre. Dans ce type de famille, la mère est le pilier au centre de la structure familiale, le père est généralement absent ou alors son influence est négligeable. Une mère évoluant dans ce contexte matrifocal se verra obligée de s’approprier des attributs masculins afin de protéger et construire sa famille, attributs que les filles ayant grandi dans ces milieux pourraient être amenée à intégrer en grandissant. Cet associations de l’idéal masculin attribué aux filles dans ce type d’environnement pourrait être une des raisons pour lesquelles les garçons s’en détacheraient, n’arrivant pas à voir cet idéal féminin dans leur proximité.L’absence du père dans ces familles joue également un rôle important ; les garçons pourraient adopter des comportements toxiques et violents car dépourvu de modèle masculins positifs, ce qui impactera bien sûr leur comportement envers les femmes. La matrifocalité n’est pas un concept problématique en soi et les tendances comportementales discutées précédemment ne sont pas des vérités absolues mais seulement des pistes de réflexion. Le problème est qu’il est possible que les enfants évoluant dans ce type de milieu aient moins de chance que les autres de se construire dans les idéaux masculins et féminins mis en avant par notre société, s’ajoute à cela l’important rôle que joue le racisme dans la perception de nos corps, en particulier celui des femmes : le simple fait que les standards de beauté soient encore majoritairement basé sur les traits des femmes occidentales a probablement un impact encore plus important que la matrifocalité dans la perception de la femme noire.

Une remise en question de ces idéaux ne semble pas être la solution à ce problème même si la discussion de la construction de genre reste intéressante. Un encadrement plus adéquat des jeunes, indifféremment de leur origine socio-économique, pourrait contribuer positivement aux relations entre garçons et filles, en effet la gêne ressentie par une partie des filles ainsi que le manque d’intérêt de certains garçons est directement lié au contexte social général dans lequel notre communauté s’inscrit. Nombreux sont celles et ceux qui ont dû attendre l’adolescence voire l’âge adulte pour réellement comprendre notre place dans cette société et comment résister aux différentes formes d’oppression. Beaucoup se sont donc construits dans des schémas qui nous sont hostiles par définition, ce qui impact leur relation avec les autres, en familiarisant la jeunesse le plus tôt possible aux défis auxquels nous faisons face, il est possible de prévenir ces problèmes relationnels.  Cela passe par l’éducation mais aussi par la mise en place de projets de communauté de long terme, car sans perspective les relations solides indispensables à la santé d’un groupe n’auraient aucune raison valable d’exister.

Le black love finalement c’est plus qu’une histoire d’amour entre deux personnes, c’est aussi une manière de se renforcer en tant que communauté. Cela demande une réflexion personnelle mais aussi un engagement plus général : sans contribuer activement, ni soutenir les initiatives nées dans l’intérêt de la diaspora, il ne sera pas possible de renforcer les liens des générations futures, qui risqueraient de ne pas jouir de la vie plus agréable que nous avons le devoir de leur construire.

Patrick-Clark

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