L’instabilité dans la corne de l’Afrique 

La Corne de l’Afrique est la région la plus éloignée de l’est du continent et comprend le Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie et la Somalie. Ensemble avec l’Égypte, la Corne de l’Afrique abrite les civilisations les plus anciennes du continent africain notamment les Kush au nord du Soudan, les Aksum en Éthiopie et en Érythrée, et les Punt,  qui sont supposés avoir vécu dans la zone maintenant reconnue comme étant la Somalie. Cette région est depuis longtemps confrontée à des défis politiques, économiques et sécuritaires. Malgré ses richesses naturelles et son potentiel économique, elle est marquée par une instabilité persistante qui entrave son développement et menace la paix régionale. Dans cet article, nous allons explorer les principales causes de cette instabilité, ses conséquences et les différents conflits qui menacent la paix dans la région, en nous appuyant sur des sources fiables. 

Les causes et les conséquences des tensions dans la Corne de l’Afrique

À l’heure actuelle, la Corne de l’Afrique constitue le foyer de longs conflits, tels que les affrontements frontaliers entre l’Éthiopie et l’Érythrée, d’une part, et entre l’Éthiopie et la Somalie d’autre part, ainsi que l’instabilité chronique et les affrontements entre les Afars et les Issas à Djibouti. Les quatre pays de la Corne de l’Afrique comptent une population combinée d’environs 86,6 millions, selon une estimation de 2005.

Les conflits dans la Corne de l’Afrique sont  endémiques et pandémiques. Ils sont endémiques car chaque État connaît des conflits internes, mais ils sont également pandémiques. En effet, les conflits ont des répercussions contagieuses dans tous les pays de la sous-région, en raison des affrontements frontaliers dûs à l’ingérence flagrante dans les affaires internes des autres pays, ou de l’incitation aux rébellions sur chaque territoires. Les conflits dans la Corne de l’Afrique ont suscité un intérêt international et les efforts visant à leur règlement ont dépassé l’Union africaine.

La situation géographique stratégique de la Corne de l’Afrique, située entre les deux continents, et servant de porte d’entrée au Moyen Orient riche en pétrole à travers le Golfe d’Aden et la Mer Rouge, fait de cette région une zone cruciale pour les grandes puissances mondiales, notamment pour les nations industrialisées de l’Occident, sous la direction des États Unis d’Amérique.

De nombreux conflits ethniques et politiques sont alimentés par des rivalités historiques, des revendications territoriales et des luttes pour le pouvoir. Par exemple, les tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée ont conduit à une guerre dévastatrice dans les années 1998 et persistent encore aujourd’hui malgré la signature d’un accord de paix le 17 septembre 2018 entre le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le Président érythréen Isaias Afwerki.

De plus, la région est confrontée à des défis économiques majeurs, notamment une pauvreté généralisée, un chômage élevé et des inégalités socio-économiques criantes. Ces conditions alimentent le mécontentement social et contribuent à l’instabilité politique.

L’insécurité alimentaire et le changement climatique font aussi partie des causes de l’instabilité dans cette zone d’Afrique. Les sécheresses récurrentes et les pénuries alimentaires exacerbent les tensions sociales et politiques dans la région. Le changement climatique aggrave ces problèmes en accentuant les phénomènes météorologiques extrêmes et en menaçant la sécurité alimentaire des populations.

Les conflits, la pauvreté et les catastrophes naturelles ont entraîné des déplacements massifs de populations dans la région. Les réfugiés et les personnes déplacées internes sont confrontés à des conditions de vie précaires et contribuent à la pression sur les ressources déjà limitées.

Pour finir, l’instabilité politique et sécuritaire entrave le développement économique de la Corne de l’Afrique en décourageant les investissements étrangers, en perturbant les infrastructures et en entravant le commerce régional. Ces tensions ont des répercussions au-delà des frontières de la région, menaçant la stabilité et la sécurité de l’ensemble de l’Afrique de l’Est. 

Les différents conflits dans la corne de l’Afrique 

Plusieurs conflits ont marqué l’histoire de la corne de l’Afrique, en particulier la guerre de Tigré, déclenchée en novembre 2020 entre le gouvernement éthiopien et les forces régionales du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), entrainant des affrontements violents et une crise humanitaire majeure dans la région du Tigré. Cette guerre est considérée comme étant la plus meurtrière du 21ème siècle, ayant causé plus de morts au combat que la guerre d’Ukraine, selon l’Institut de Recherche sur la Paix d’Oslo, avec plus d’une centaine de milliers de morts contre 81 000 en Ukraine. Les estimations du nombre de victimes civiles se situent par ailleurs entre 300 000 et 800 000.

Cette guerre s’est déclenchée lorsque Abiy Ahmed, fraîchement devenu Premier ministre, a remplacé la coalition Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien par un parti unifié sans référence ethnique, le Parti de la Prospérité. Ainsi le TPLF, majoritairement composé des Tigréens, a été évincé du pouvoir et s’est senti frustré car il avait été vingt-deux ans au pouvoir. Le parti TPLF a alors déclaré la guerre au gouvernement éthiopien. 

L’accord de paix signé le 2 novembre 2022, sous les auspices de l’Union africaine, devait marquer l’arrêt des combats et lever le blocus de la région du Tigré par le gouvernement, permettant l’accès de l’aide humanitaire dans la région et le rétablissement des services essentiels à la population. 

 Néanmoins, cet accord a accentué les problèmes et les discriminations déjà existants. Les affrontements dans la région du Tigré ont entraîné une crise humanitaire majeure, avec des millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Les interruptions des services de base, y compris l’accès à l’eau potable, aux soins de santé et à la nourriture, ont exacerbé l’insécurité alimentaire et les souffrances des populations vulnérables.

Les troubles dans cette région ont perturbé les flux commerciaux et économiques, entraînant des répercussions sur l’économie éthiopienne et régionale. Les routes commerciales vitales reliant l’Éthiopie à ses voisins sont bloquées, ce qui affecte le commerce transfrontalier et les échanges commerciaux dans la région.

Pour conclure, la guerre de Tigré a des répercussions profondes sur l’instabilité dans la Corne de l’Afrique, exacerbant les tensions régionales, déclenchant une crise humanitaire majeure et perturbant les dynamiques économiques et politiques de la région. Pour parvenir à une stabilité durable, il est essentiel de trouver une solution pacifique et inclusive au conflit, tout en s’efforçant de répondre aux besoins humanitaires urgents et de promouvoir la réconciliation et la coopération régionale.

L’autre conflit qui ravage cette zone est celui des Afars et des Somali-Issas. La guerre entre ces deux communautés, deux groupes ethniques de la Corne de l’Afrique, trouve ses racines dans des tensions historiques qui remontent à plusieurs décennies. Ces tensions ont été exacerbées par des rivalités politiques, économiques et territoriales dans la région.

Plus précisément, les conflits entre les Afars et les Somali-Issas ont été particulièrement intenses dans la région de Djibouti, qui a obtenu son indépendance de la France en 1977. Les Afars et les Somali- Issas ont tous deux revendiqué des droits territoriaux et politiques dans la nouvelle nation, ce qui a conduit à des périodes de violence et de conflits armés. Il est difficile de fixer une date précise au commencement de cette guerre entre ces communautés car les tensions entre ces groupes remontent bien avant l’indépendance de Djibouti. Cependant, nous pouvons dire qu’elles ont commencé à émerger dans les années 90, lorsque le groupe armé FRUD ( Front pour la Restauration de l’Unité à Djibouti ), composé majoritairement des Afars, a déclenché une guerre contre le gouvernement djiboutien à majorité Somali-Issa. Ce dernier était menacé de perdre son pouvoir.  En guise de représailles, les forces de l’ordre ont commis un massacre à Arhiba, un quartier habité par des Afars dans le centre de Djibouti-ville. Ce massacre est passé sous silence car les autorités ont étouffé l’affaire en payant les quelques familles des victimes. 

Au fil des années, des accords de paix ont été signés entre les différentes factions du FRUD, et la situation s’est généralement stabilisée depuis lors. Cependant, des tensions intercommunautaires subsistent et peuvent parfois se manifester par des affrontements de manière irrégulière.

C’est en Éthiopie qu’il existe le conflit le plus meurtrier entre les deux communautés. Leur champ de bataille est un long corridor traversant du sud au nord la région Afar, une route vitale reliant la capitale fédérale Addis-Abeba au port de Djibouti. Plusieurs localités situées tout au long de ce corridor étaient occupées par la communauté Somali-Issa.  Depuis 2022, en proie à de vives tensions au nord-ouest avec les insurgés tigréens, la région afar fut aussi le théâtre de violences au sud-est, avec le rival héréditaire, les Somali-Issas. 

Tout en faisant face aux attaques violentes et meurtrières des insurgés tigréens, les Afars ont libéré plusieurs localités qui étaient occupées depuis plusieurs décennies les Somali-Issa.Malgré de nombreuses tentatives de réconciliation sous les auspices du gouvernement fédéral,ce conflit meurtrier persiste jusqu’à présent. 

Les Somali-Issas, qui occupent les localités situées tout au long de ce corridor au cœur du pays afar, réclament leur rattachement à la région Somali. D’un côté, la région afar de l’Éthiopie a dû faire face à l’avancée de la rébellion tigréenne, qui cherchait à mettre main sur le corridor vital pour l’économie du pays ; de l’autre, elle cherche à libérer la totalité des territoires occupés par les Somali-Issa. Ce conflit intercommunautaire reste complexe car ces deux communautés vivent côte à côte et sont toutes les deux de confession musulmane. Même si l’intensité des affrontements est moins importante à Djibouti, l’issue du conflit entre les deux communautés est incertaine. 

En conclusion, les conflits dans la Corne de l’Afrique ont laissé des cicatrices profondes dans la région, affectant des millions de vies et entravant le développement socio-économique. Cependant, malgré ces défis, il est impératif de reconnaître que la paix et la coopération régionale offrent la voie la plus viable vers un avenir prospère pour tous. En favorisant le dialogue, en renforçant les institutions démocratiques et en investissant dans le développement durable, les nations de la Corne de l’Afrique peuvent surmonter les divisions du passé et ouvrir la voie à une ère de paix, de stabilité et de prospérité partagée. Enfin, c’est ensemble que nous pouvons bâtir un avenir meilleur pour les générations présentes et futures de cette région dynamique et diversifiée.

Amina Mohamed Hassan

Bibliographie : 

• Alain Gascon « La guerre comme rite géographique : l’exemple de la corne de l’Afrique » https://journals.openedition.org/conflits/78

• Déclenchement d’une guerre civile au Djibouti Texte rédigé par l’équipe de Perspective monde 

• Gérard Prunier « l’ordre règne à Djibouti »  paru dans  le Monde diplomatique d’avril 1994,

• Gouriellec Sonia, « L’accélération de l’histoire dans la Corne de l’Afrique », Annuaire Français de Relations Internationales 2013, Paris, Université Panthéon-Assas, Centre Thucydide, 2013, p.183-197.

• Philippe Leymarie «  la corne de l’Afrique en voie d’éclatement » https://www.monde-diplomatique.fr/1991/09/LEYMARIE/43840

• SALOME SIFAOUI « La stabilité de la Corne de l’Afrique menacée par le spectre d’une guerre civile en Éthiopie » https://nemrod-ecds.com/?p=5262

• Un nouveau front s’ouvre en Éthiopie entre les régions Afar et Somali au Nord-Est  https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210728-un-nouveau-front-s-ouvre-en-%C3%A9thiopie-entre-les-r%C3%A9gions-afar-et-somali-au-nord-est

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