Le cas Thuram ou la mauvaise foi collective face à la suprématie blanche

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La lutte anti-raciste a plusieurs visages. En effet, elle peut s’incarner à travers des associations qui luttent pour faire entendre le vécu difficile des personnes victimes de racisme ou encore, par exemple, dans le témoignage direct des personnes qui l’ont expérimenté. Cependant, il n’est pas bon de dénoncer certaines réalités au risque de voir ces propos tournés et retournés contre soi et cela Lilian Thuram l’a malheureusement appris à ses dépens.

Vous deviez sûrement encore profiter de vos vacances loin de la folie des réseaux, si vous êtes passés à côté de la polémique Thuram, car cette rentrée a été fortement agitée sur le plan médiatique suite aux propos de l’ancien footballeur Lilian Thuram sur la problématique du racisme dans le milieu du football.

Pour rappel des faits, Thuram disait, en réaction aux cris de singes adressés à des joueurs noirs évoluant dans les clubs italiens, tel que Romelu Lukaku en l’occurrence, qu’« il est nécessaire d’avoir le courage de dire que certains blancs pensent être supérieurs et qu’ils croient l’être ». De tels propos ont suscité des réactions virulentes à l’égard de l’ex-footballeur de la part des médias, le taxant ainsi de raciste anti-blanc pour avoir dénoncé une réalité, malheureusement, bien présente dans le milieu du football européen. Ses déclarations semblent avoir davantage choqué que le racisme contre lequel il s’exprimait à l’origine et cela en dit long sur la société dans laquelle les personnes non blanches doivent évoluer.

On peut constater qu’une narrative s’est développée au fil du temps, rendant les victimes responsables de leur sort et dépeignant les responsables en victimes. Ainsi, dans notre cas, on constate le passage d’une dénonciation de faits indiscutablement racistes à une victimisation des joueurs blancs, considérés comme discriminés au profit des joueurs noirs, soi-disant mis plus en avant par les entraîneurs et responsables de club.

Mais comment arrive-t-on à un tel discours démagogique relayé en masse par les médias sans faire usage d’une bonne dose de mauvaise foi ? Et bien on n’y arrive tout simplement pas. La société occidentale, à prédominance blanche, ne semble pas prête à déconstruire le racisme qui la gangrène, s’ensuit donc un rejet de toute conversation allant dans ce sens. C’est comme ça qu’on arrive à une polémique comme celle dans laquelle Lilian Thuram s’est retrouvé et qu’on accuse les personnes racisées de faire preuve elles-mêmes de racisme.

Pour aller plus loin, quand les personnes blanches se disent victimes d’actes racistes pour se défendre contre des accusations de racisme, elles font usage d’une logique que j’aime qualifier de « mais madame lui aussi il m’a fait ça », celle qu’on a tous employée enfant pour éviter une trop grande réprimande. Selon cette logique, l’agresseur a déjà été la victime ainsi tout s’équilibre.

Toutefois, il est important de souligner que dans la lutte anti-raciste, il est essentiel et nécessaire d’analyser les dynamiques sociales à une échelle systémique, ce que les partisans de l’existence du racisme anti-blanc semblent vouloir refuser de faire. Les personnes blanches constituent un groupe/un système sur le plan purement sociologique, comme les personnes noires, d’origine asiatique ou encore maghrébine, etc. La société est bien entendue également un système englobant ces groupes et qui favorise ou défavorise certains d’entre eux.

Par conséquent, si on recontextualise les propos de Lilian Thuram, quand il dit que « certains blancs se pensent supérieurs », il parlait des blancs en tant que groupe qui a toujours été favorisé par un plus grand système qu’est la société occidentale. Un groupe qui a toujours été mis sur un piédestal et mis comme référence tant sur le plan des canons de beauté, que sur l’art ou encore sur les travaux intellectuels. Ce genre de valorisation a créé un complexe de supériorité chez une partie de ce groupe et à ce complexe s’ajoute un mépris de l’autre considéré comme inférieur, ce qui explique le racisme. Les propos de Thuram faisaient donc référence aux racines même du racisme défini par ailleurs comme « idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les ‘races’ » par le Larousse ou encore comme « une idéologie qui, partant du postulat sans fondement scientifique de l’existence de races au sein de l’ espèce humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à d’autres » de l’Encyclopaedia Universalis, l’écrivain Albert Memmi.

Thuram a rajouté lui-même en réponse à la controverse que les personnes en capacité de faire des bruits de singe à un noir sont racistes et ont un complexe de supériorité et que celles-ci sont encore dans une hiérarchie culturelle du passé et pensent que cette hiérarchie est juste.

Oui les propos de Thuram peuvent prêter à une certaine généralisation une fois sortis de leur contexte comme ça a été le cas durant la polémique, mais on peut se demander si cette généralisation, s’il y a lieu de qualifier ses propos ainsi, ne serait pas davantage l’expression d’une exaspération liée à la multiplications des actes racistes que d’une pure volonté de mettre tous les blancs dans le même panier. Peut-on vraiment occulter la dénonciation de ces actes racistes au nom d’une phrase jugée trop généralisante ? C’est à partir de là qu’on peut questionner les réels motifs des médias.

Pour terminer sur cette polémique et les accusations de racisme anti-blanc adressées à Lilian Thuram, il est important de rappeler que le « racisme anti-blanc » prend uniquement la forme d’actes interpersonnels. Cela relève de l’entre-soi et non d’une généralité basée sur la race ou la couleur de peau. Par conséquent, comme l’a très bien dit Pierre Rondeau, co-directeur de l’Observatoire sport et société de la Fondation Jean Jaurès : « Reconnaître l’existence du racisme anti-blanc reviendrait à mettre sur un même pied d’égalité des siècles d’asservissement des populations africaines à quelques incivilités discriminantes constatées dans le quotidien ». Le « racisme anti-blanc » ne produit en réalité tout simplement pas d’inégalités sociales et ne se matérialise pas par une privation de droit ou d’accès à une ressource, car celui-ci n’est pas d’ordre systémique.

Au final, dénoncer le racisme, c’est dénoncer le système qui l’entretient, et contrairement à la lutte anti-raciste menée par Thuram et par beaucoup d’autres activistes, aucun système n’entretient le racisme dont les personnes blanches se disent victimes.

 

Florence BABE TUYISHIME 

 

Crédit photo : https://www.sudinfo.be/id140969/article/2019-09-14/lilian-thuram-defend-le-diable-rouge-romelu-lukaku-raison-le-racisme-empire-dans?fbclid=IwAR0jPSIGEWgr1Hm7qM_pyeIoxxAig37xhwp8UAChVUNwARObT96QwmsHBlc

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