Moment d’histoire : un destin déterminé par une anatomie

06.11 Venus HottentoteSawtche naît aux environs de 1789 dans la région du Cap-Oriental, en Afrique du Sud. Aussi appelée Saartjie, diminutif de Sarah, Baartman était une femme khoïsan, qui est une ethnie que l’on retrouve principalement dans le sud du continent africain, elle se divise en deux branches les san(khoï) et les khoïkhoï que les Hollandais appellent, péjorativement d’ailleurs « hottentots ». Pourquoi péjorativement ? Les langues khoïsan ont la particularité de se parler avec des claquements de langue que les Hollandais ont assimilé à un défaut d’élocution, d’où le terme qui signifie « bégaiement ». Elle est, dès son enfance, réduite en esclave par un fermier colon afrikaner appelé Peter Caeser qui changera son nom en Saartjie. Cependant, elle était atteinte d’hypertrophie des hanches et des fesses mais aussi de macronymphie, qui est un élargissement des lèvres de la vulve. Ce sont ses caractéristiques physiques qui détruiront sa vie.

À la fin du XVIIIe siècle, vous n’êtes pas sans savoir que l’Afrique du Sud est, à ce moment-là, colonisée par les Hollandais et elle le sera, au début du XIXe siècle, par les Anglais qui prendront de force la colonie du Cap. C’est réellement à cette période, entre 1776 et 1800 que le commerce lié à la traite d’êtres humains est à son apogée en Afrique du Sud avec 80 000 de captifs déplacés par an vers l’Occident.

En 1810, Alexander Dunlop, un chirurgien britannique, la découvre et y voit un business. Il décide de l’envoyer en Europe pour qu’elle participe à des zoos humains, qui est une pratique, surtout développée au XIXe siècle, où l’on exhibe les colonisés. En contrepartie de cela, on lui fait miroiter liberté, richesse et un retour à son pays d’origine, ce qui ne sera, hélas, pas le cas.

Devenue un phénomène de foire pour les Européens, elle fera le tour de l’Europe, avec comme nom de scène : « Vénus Hottentote ». Ils mettaient en avant ses caractéristiques anatomiques en l’obligeant à porter des vêtements moulants (voire pas de vêtements du tout), lui demandant de danser, de chanter mais en plus de se comporter comme un animal. Elle était exposée comme tel car c’était rare, peut-être même impossible de voir une anatomie pareille en Europe, alors que c’était fréquent chez les khoïs. Elle devient un objet sexuel et tombe dans la prostitution. Toute cette vie sera la cause de sa dépression. Elle meurt en décembre 1815.

La face cachée de l’histoire est que Sawtche fût utilisée pour « prouver » les théories06.11 Venus Hottentote2 racistes de l’époque qui étaient qu’il existe plusieurs « races » humaines, avec la supériorité de la race blanche, les autres étant inférieures. L’historien et archéologue français spécialiste de l’Afrique, François-Xavier Fauvelle, dit que « si ces fesses ont autant attiré l’attention du public et des chercheurs, c’est parce qu’on soupçonnait qu’il y avait un organe ou un os supplémentaire. Cette question était centrale pour l’anthropologie : cela aurait voulu dire qu’il y avait des races humaines différentes. A son corps défendant, elle a joué le rôle de pièce à conviction. Les spectateurs venaient, certains qu’ils allaient voir un chaînon manquant entre l’homme et le singe ». C’est exactement ce que disait le naturaliste français Geoffroy Saint-Hilaire en 1815, en pensant qu’il s’agissait d’une nouvelle race, en comparant son visage et son corps à celui d’un singe.

Si vous pensez que l’histoire s’arrête là, ce n’est pas le cas. Pour appuyer ces théories, après avoir fait un moulage de son corps, elle fût disséquée après sa mort. Quelle a été la conclusion de cette dissection ? Ce n’est pas difficile à imaginer, Georges Cuvier, le professeur d’anatomie comparée en conclut que son corps était vrai et qu’elle faisait partie de la race humaine même si toutefois il la considérait comme inférieure aux autres humains, les Blancs.

Malgré leur comportement, le manque respect pour la personne de cette jeune femme (avant et après sa mort), leurs théories racistes de l’époque, Saint-Hilaire et Cuvier, ont cependant des rues portant leurs noms en France sans prendre en compte le fait qu’ils ont utilisé cette femme pour en faire une bête de foire, la réduire en esclave sexuelle et manquer de respect à sa sépulture. Quand bien même il fallut prendre en considération les pensées du XIXe siècle, la logique aurait été de changer le noms de ces rues.

Il a fallu attendre la fin de l’Apartheid en 1994, pour que Mandela demande à Chirac de rendre son corps à son pays. Ce n’est qu’en 2002, deux siècles après son décès, que son corps est rapatrié en Afrique du Sud après un premier refus sévère de la France car Sawtche était considérée comme propriété de l’État français, comme la plupart des biens culturels se trouvant en Europe suite à la colonisation.

Paradoxalement, pouvons-nous dire, c’est que la mode aujourd’hui est justement d’avoir ce corps dont on se moquait ouvertement ou que l’on assimilait au corps d’un singe. Les femmes font de plus en plus de chirurgie pour augmenter la taille de leurs fesses. Il n’y a qu’à voir les réseaux sociaux qui pullulent de femmes avec ces caractéristiques. Mais une chose à ne pas oublier, c’est que ce phénotype, généralement attribué à la femme noire, n’est pas accepté par la société. Ce corps chez les femmes noires, n’est accepté qu’au niveau sexuel, c’est de l’ « exotisme » disent certains. Mais ce même phénotype chez une personne non-noire sera considéré comme de la beauté, bien que ce terme soit subjectif. La différence avec la situation de 1800 ? C’est qu’à l’heure actuelle, on reconnait ce qu’on a toujours su, que les Noirs font partis de la race humaine, n’en déplaisent à certaines personnes. La similitude ? Cela reste une fascination morbide de la société pour ces femmes qui sont aussi, au final, idolâtrées pour leur taille fine et pour la protubérance de leur derrière et de leur hanche. La société a ses critères de « beauté », ce qui a parfois comme conséquence la non-acceptation de certaines caractéristiques physiques. Et donc s’accepter soi-même mais aussi les autres êtres humains peut s’avérer difficile. Pourra-t-on arriver un jour à une acceptation de tous les êtres vivants sans distinction aucune ? Chacun avec ses caractéristiques et le respect de son intégrité ? Si c’était déjà le cas, les gens ne penseraient pas à correspondre à ces critères sociétaux…

 

Thorique Bénie NKASIA

 

Credit image n°1 https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser-avec-rene-frydman/sarah-baartman-ou-la-venus-hottentote

Credit image n°2 http://ecrireiciaussi.canalblog.com/archives/2013/02/01/26192806.html

Sources :

https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser-avec-rene-frydman/sarah-baartman-ou-la-venus-hottentote

https://www.20minutes.fr/societe/2304555-20180723-video-monstres-humains-venus-hottentote-fascine-encore-car-incarne-conjonction-formes-exploitation

 

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