La nécessité et les bénéfices de la représentation des femmes noires dans les médias ne sont plus à prouver ni à justifier. Le besoin de sa présence aux différentes étapes de notre construction commence à l’enfance et continue tout le long de son évolution. Récemment réaffirmée pour les plus jeunes d’entre nous avec le court métrage d’animation Hair Love, primé à la cérémonie des Oscars 2020, cette représentation a tendance à s’effriter au fur et à mesure que la femme noire grandit.
Elle perd de sa force quand elle se résume à véhiculer des clichés et est complètement vidée de sa substance lorsqu’elle devient superficielle afin de gagner en capital social – ou tout simplement en capital – dans les médias et plus précisément sur les réseaux sociaux. Ce dernier point s’explique avec le cas des mannequins ou influenceurs créés sur base de la technologie CGI (pour Computer-Generated Imagery).
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Ces nouvelles figures de l’ère digitale ont commencé à susciter la fascination grâce à leur réalisme et à leur capacité trompe l’œil. Mais rapidement, elles ont été au cœur de problématiques, dans un premier temps, marketing. En effet, la question s’est posée de savoir si un post sponsorisé devrait s’appliquer à ces influenceurs d’un nouveau genre. Leur capacité à fournir une critique sincère et non biaisée du produit vendu à leur audience a également été mise en doute.
Dans un second temps, dans une industrie où il est difficile pour la femme noire de se faire une place et d’être reconnue, la part du gâteau qui est censée lui être réservée est offerte à des entités qui ne sont qu’une projection de celle-ci. Mais finalement, qui bénéficie et tire profit de ce transfert de l’humain à une abstraction et du pouvoir d’identification propre au phénomène de reconnaissance de soi dans une personnalité médiatisée ?
Shudu et Cameron-James Wilson, son créateur
C’est l’interrogation principale qui entourait Shudu créée sur la base du « supermodel ». Lorsqu’elle apparaît pour la première fois en 2017, elle dépasse et bouscule tout ce que l’on connaissait. Créée par Cameron-James Wilson, elle fait partie de l’agence digitale de cet ancien photographe reconverti en artiste 3D. Depuis sa première apparition, Shudu n’a cessé de gagner en capital social, à savoir ses followers, au fur et à mesure de ses apparitions virales. L’exploitation d’une image à l’opposé de ce que Wilson est pousse à questionner les motivations d’un tel geste et à repenser les différents prismes utilisés afin de nous renvoyer une image de nous-même.
La technologie en matière d’imagerie numérique ne faisant que se perfectionner, elle a tendance à se démocratiser et à reproduire des scènes de vie brouillant ainsi les pistes de la réalité et tendant vers une dystopie tout en mettant en scène ces femmes noires toujours abstraites et jamais réelles. Cette précision dans la représentation physique est rendu possible en observant des femmes noires hyper visibles dans les médias. Ce phénomène qui naît de l’absence de représentation, est aujourd’hui intrinsèque à celles qui étaient autrefois occultées. Cette volonté d’être vue pour ce qu’elle est vraiment a eu pour conséquence négative de faire en sorte que son image ne soit plus contrôlée par elle-même et son histoire soit racontée par d’autres.
Finalement, comment sortir de cette déshumanisation de nos corps et de notre image traités comme des marchandises dans les médias ? Il s’agit d’une question ouverte qui amène à une réflexion plus poussée : la représentation est un concept fragile et presque creux qui se doit d’être constamment repensé à travers ce qu’il symbolise et de ceux qui l’incarnent. Mais d’emblée, la réponse ne consistera pas en l’évaporation de l’omniprésence de la femme noire.
Emmanuelle B.
Crédit images :
- Image n°2 : https://fashionunited.fr/actualite/mode/cameron-james-wilson-j-ai-le-sentiment-de-diriger-quelque-chose-de-nouveau/2018110219089
- Images n°1 et 3 : Instagram @alizarexx
Sources :
- https://www.wired.com/story/lil-miquela-digital-humans/
- https://www.insider.com/cgi-influencers-what-are-they-where-did-they-come-from-2019-8