Gnawa : au-delà de la musique

22.04 Gnawa

Image : Etienne de Villars

La musique Gnawa, un genre musical marocain, souvent considérée comme la musique « hippie » du Maroc,  m’accompagne depuis des années et me touche par son identité propre car elle ne ressemble en rien aux autres genres musicaux maghrébins. Elle a un caractère universel mais son appartenance à l’identité du Maghreb est une évidence. Pendant longtemps, je n’ai pas vraiment creusé pour comprendre l’histoire de cette musique car comme pour beaucoup d’héritages culturels, on se contente des explications transmises oralement de générations en générations, mélangeant histoire, mythe et imagination. Tantôt on dit que cette musique est celle des anciens esclaves noirs au Maghreb, tantôt on dit qu’elle est celle des peuples du Sahara. Mais ces explications superficielles n’étaient plus suffisantes à un stade où mes questionnements sur l’histoire des cultures africaines se faisaient de plus en plus présents et où l’envie de faire connaissance avec mon propre continent était de plus en plus grande. Cette quête du savoir m’a mené à lire le livre « Les Gnaoua du Maroc, itinéraires initiatiques transe et possession » d’Abdelhafid Chlyeh – sur lequel cet article est basé – qui m’a permis d’aller au-delà de la musique qui n’est en fait qu’une partie d’un ensemble plus grand, tout un pan de la culture maghrébine regroupant caractéristiques religieuses, spirituelles, thérapeutiques et artistiques.

 

Cependant, cette quête de connaissance, étant faite en parallèle avec une prise de conscience au racisme et aux problèmes intra-africains, mène à l’obligation de revenir en arrière dans le temps et de replacer ces savoirs dans leur contexte.  « Afrique noire », « Afrique du Nord », « Afrique subsaharienne », « le Maghreb », ces termes, au-delà de leur signification première sont porteurs de problèmes sociétaux et de tabous autour de ceux-ci entre ce qu’on appelle communément l’Afrique du Nord et l’Afrique noire. Ces terminologies utilisées pour indiquer ce problème sont révélatrices de cette scission de l’Afrique, comme si les deux Afriques n’en formaient pas qu’une, collées mais séparées.

 

Résoudre ces problèmes, casser les tabous ne peut se faire qu’en reconnaissant qu’ils existent mais également en fouillant dans l’histoire, dans les cultures et traditions pour comprendre d’où ces problèmes viennent, de quoi ils se nourrissent et comment ils se perpétuent. C’est dans ce cadre historique complexe et sombre que les interactions entre les différents peuples de régions d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ont existé depuis longtemps menant à la naissance de nouvelles cultures et traditions à la croisée des religions, croyances et cultures mais également avec une identité liée à cette histoire.

 

Un épisode de cette histoire est sans équivoque l’esclavagisme imposé à certains peuples d’Afrique et auquel certaines populations d’Afrique du Nord ont participé activement. Ceci a eu comme conséquence ce que j’ai évoqué au début de cet article à savoir la culture Gnawa. Le terme Gnawa désigne les descendants d’esclaves noirs du Maghreb ainsi que toutes leurs cultures et traditions.

 

Lorsque l’on cherche l’étymologie du mot, on est face à plusieurs possibilités. Selon M. Delafosse, Gnawa vient de Gnawi qui est une déformation de « guinéen ». Selon A-Zuhri, historien du 12ème siècle, il utilisait le mot Djinawa, pour désigner le peuple du Ghana. Quand à J. Lanfry, il indique que le djanawen signifie esclave dans les dialectes des Touaregs et des berbères du Sahara. Ainsi on voit que dans cette diversité d’étymologies, il y a une part commune et que les différences sont le fruit de l’évolution du mot selon l’époque et le lieu géographique de son utilisation.

 

Ainsi les Gnawa font partie de ces peuples dont les ancêtres persécutés ont du s’adapter à leur nouveau milieu de vie tout en gardant le plus possible leur culture d’origine. Cette adaptation en parallèle de l’envie de perpétuer ses propres traditions se manifeste le plus dans la vie spirituelle et religieuse de ces individus car souvent en moment de détresse absolue, ce sont les seuls champs d’expression, d’espoir et de vie qui restent.

 

Sans grande surprise et de manière évidente, le plus grand héritage de la culture Gnawa est cette spiritualité et religiosité propre qui se manifestent et prennent vie dans le cadre de confréries spirituelles avec des rites, des codes et des itinéraires initiatiques propres à la croisée de l’Islam, des cultures amazigh et des cultures originelles des ancêtres esclaves des Gnawas. Ces confréries ont en effet la structure des confréries musulmanes soufis et les Gnawa qu’ils soient adeptes ou non des confréries Gnawa, se disent musulmans. Ces confréries sont composées de Zaouia qui sont des centres religieux et spirtuels, entretiennent des liens avec les saints, ont des itinéraires initiatiques pour les adeptes composés de cultes et rites propres.

 

C’est lors de ces cultes et rites propres que se manifeste l’identité plurale de cette culture. En effet, les rites sont des rites de possession (lila de derdeba) considérées comme des rites thérapeutiques, caractéristique majeure des rites dans certaines cultures d’Afrique Noire où celui-ci a la même fonction. Ces rites sont animés par deux types d’intervenants : les voyantes-thérapeutes ainsi que les musiciens. Ces musiciens jouent donc ce qu’on appelle la musique Gnawa qui fait appel à des instruments, rythmes aux identités africaines multiples. Au-delà des rites, les croyances au sein de ses confréries témoignent également de la pluralité de l’identité Gnawa. En effet, une grande partie des croyances est celle des êtres surnaturels parmi lesquels on retrouve les Djinns, présents dans la religion musulmane mais également les Mlouks, qui sont des entités surnaturelles apparentées à d’autres entités qu’on peut retrouver dans les croyances ancestrales amazigh mais également dans certaines cultures d’Afrique noire.

 

Cette identité multiple des Gnawas est quelque chose dont ils ont profondément conscience, qui fait partie de leur quotidien mais également de leur spiritualité et de leurs croyances les plus profondes. Ils expriment cela par le proverbe suivant qui résume toutes les réflexions ci-dessus : « la culture Gnawa est africaine par la sève et maghrébine par la greffe ».

 

Guenaou Jihad

 

Crédit image : https://www.etiennedevillars.com/publications/ 

 

Source : « Les Gnaoua du Maroc, itinéraires initiatiques transe et possession » d’Abdelhafid Chlyeh

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