« Ex Africa » : quelle est la place de l’esthétique africain dans l’art contemporain ?

« Ex Africa » ou « Africa Reborn » est une exposition qui a lieu au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Elle a pour but de montrer ce qui lie l’art contemporain et les arts africains anciens depuis la fin du 20ème siècle, tout en s’interrogeant sur certains aspects plus précis.

Coup d’envoi

En 1984, l’exposition « Primitivisme », qui est un mouvement d’art occidental s’inspirant d’œuvres originelles ou exotiques, au Moma de New York comptait plus de 200 œuvres d’Afrique, d’Océanie et des Amériques. Auprès d’elles figuraient des œuvres d’artistes tels que Picasso, Nolde et Giacometti. Cette exposition mit en valeur les avant-gardistes qui, en même temps, faisaient de l’ombre à l’art africain. Ce phénomène constitua le coup d’envoi du commissaire de l’exposition « Ex Africa », Philippe Dagen. Il voulu ainsi redonner la place qu’a l’art africain dans le monde contemporain mais aussi déconstruire cette vision du primitivisme telle qu’elle est perçue. Depuis lors, Philippe Dagen s’efforce de rappeler aux visiteurs que l’utilisation du terme « primitif » est relié à l’art africain et à son appropriation par l’Occident de ce qui se nommait autrefois « l’art nègre ».

Contexte historique

En ce qui concerne la représentation de l’art africain dans les musées, on constate que l’art ancien d’avant la colonisation est plutôt mis en avant par rapport à l’art contemporain. Cela dévalorise donc le travail des artistes africains modernes, qui est aussi qualitatif et diversifié que celui de leurs homologues contemporains.

Pour autant, l’art africain n’est pas toisé dans sa globalité. En effet, déjà au début du 20ème siècle, les masques et les statues avaient un franc succès et étaient une source d’inspiration pour les cubistes, (mouvement d’art focalisé sur la géométrie des formes) et les surréalistes (mouvement d’art se libérant de toutes les limites et contraintes, qui touche à l’absurde et à l’irrationnel). Pourtant, ces œuvres d’art sont en majorité remarquées pour leur côté esthétique et non pour leur symbolique même. L’art africain vaut dans ce cas seulement pour ce qu’il a apporté à l’art occidental et non pour ce qu’il incarne en lui-même.

Certains artistes, comme par exemple Chéri Samba, abordent des questions concernant l’avenir de ces œuvres. D’autres affirment que le fait de copier ces masques provoque la perte de leur authenticité et qu’on ne s’intéresse à eux uniquement pour leur aspect esthétique. Ce phénomène d’art « exclusivement décoratif » est illustré par les sculptures de « THE CHAPMAN FAMILY COLLECTION », de Dinos et Jack Chapman, qui transforment notamment les symboles de McDonalds en statues africaines. Cette métaphore évoque ainsi le lien entre l’art local et la façon dont le public le « consomme » d’une manière exclusivement visuelle.

Dans le monde contemporain

Notons tout de même un point positif : mis à part le fait que l’art africain n’ait pas encore trouvé sa place sur la scène internationale, il évolue. En effet, les œuvres d’art traditionnelles telles que les masques, les totems et les fétiches ont été plusieurs fois revisitées. Par exemple, les totems qui s’étirent en collants colorés d’Annette Messager ou les masques faits de bidons en plastiques de Romuald Hazoumé.

Ce phénomène a aussi lieu dans le sens inverse car nous pouvons également retrouver des références occidentales revisitées par l’art africain. Par exemple, Steve Bandoma et son Tintin qui s’enfuit comme un voleur ou John Edmonds qui remet en scène des photos de Man Ray avec des masques africains.

Les totems qui s’étirent en collants colorés d’Annette Massager
Tintin qui s’enfuit comme un voleur de Steve Bandoma

Le but ici recherché par les artistes n’est pas de préserver la symbolique que les œuvres avaient avant leur passage en Occident, mais bien de leur donner un tout autre sens. L’objectif est plutôt de revisiter les œuvres en abordant des problématiques actuelles, comme l’exploitation des ressources humaines et naturelles, les traces de l’esclavage ou encore la migration.

Photographie d’Alun Be montrant un enfant qui porte des lunettes de réalité virtuelle. Celle-ci évoque une Afrique plus futuriste et tente de montrer le lien entre l’ancien (les héritages culturels) et le contemporain (les technologies)

Restitution ou réparation

Il existe tout de même une problématique qui plane au-dessus du musée du Quai Branly qui est celle de la restitution des œuvres. Certaines personnalités africaines ont d’ailleurs été interrogées sur des aspects de la restitution, comme par exemple le fait de savoir à qui retourner l’œuvre ? Doit-elle aller dans un musée ou à son emplacement d’origine ? Dans quelles conditions cela doit-il être fait ?  

Mais comment retourner un objet sacré dans un village qui a changé de croyances ? Dans l’hypothèse où une copie serait créée, comme dans cette installation pour la préservation des statues, à qui revient l’original, au musée occidental ou à son créateur africain ?

L’aspect le plus subtil du problème n’est cependant pas matériel. En effet, dans ces œuvres étaient ancrées des croyances religieuses et spirituelles, et y toucher les a abimées. Elles revêtent depuis lors une histoire différente à cause de ceux qui les ont manipulées. L’âme de ces œuvres s’est perdue, et elles rapportent avec elles le souvenir d’une histoire douloureuse de dépossession. Le terme même de restitution est remis en cause, certains lui préférant celui de réparation.

Espérons que l’exposition « Ex Africa » puisse bientôt ouvrir ses portes au public, afin de partager le plus ouvertement possible toutes les réflexions qu’elle renferme. Il est primordial de revoir l’histoire de l’art africain du point de vue africain, afin qu’il puisse trouver sa juste place dans le monde.

Nathan FERREIRA

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