« Everybody loves kung-fu fighting »
Noussaïba Lazrak, 20 ans, étudiante en BA2 médecine et championne du monde en 2017 de karaté en kumite
Karaté. Art martial né sur l’île d’Okinawa. Sa forme moderne remonte aux années 1920 et possède environ 100 millions de pratiquants à travers le monde. Pourtant, ce sport reste relativement méconnu en Belgique alors que certains artistes martial du plat pays parviennent à s’y illustrer. C’est le cas notamment de Noussaïba Lazrak, 20 ans, ceinture noire de karaté et étudiante en BA2 médecine à l’UCL qui a accepté de répondre aux questions du webmagazine Binakuko et, de nous raconter comment elle arrive à combiner son statut de sportive de haut niveau à celui d’étudiante. Focus.
Évoquons tout d’abord ta première rencontre avec cet art martial : comment as-tu décidé de pratiquer ce sport relativement méconnu du grand public ?
Pour moi, cela s’est fait un peu par hasard. Ce n’est pas par l’intermédiaire des films à la télé comme on pourrait le croire. Au départ, je faisais de la natation et un jour, j’ai dit stop. Je crois que c’était vers mes 13 ans. Je voulais un art martial pour changer radicalement d’activité mais également pour apprendre à me défendre. De là, j’ai testé au K.C Etterbeek et, dès le premier cours, j’ai accroché !
Qu’est ce qui t’as plu dans ce sport ? Les entraînements en soi ne concernent pas que le combat, ils sont très « théoriques ». Cela diffère de ce à quoi on pourrait s’attendre…
Au début, je ne me suis pas vraiment posé de questions, je venais juste m’entraîner. À chaque nouvel entraînement, tu apprécies les petites choses. Tu gagnes en souplesse, tu travailles ta vivacité tout en apprenant à rester léger, et ce peu importe ton gabarit. Par exemple moi, je suis petite. Il est possible de penser que cette activité n’est pas faite pour moi mais il existe une manière spécifique de travailler pour chaque personne. Cela permet de développer ses propres qualités : si tu es petit, tu dois être rapide, vif, agile. C’est cette partie que j’ai adorée car il faut savoir se battre tout en restant soi-même.
Tu as dit que tu étais ceinture noire. Du coup tu as dû, à un moment donné, faire l’expérience de la compétition. Qu’en est-il de ton palmarès ? Si tu le connais bien entendu (rires).
(rires) Cela va faire 3 ans que je fais de la compétition. J’ai commencé petit à petit en commençant tout d’abord par des championnats provinciaux, ensuite des Championnats de Belgique ce qui m’a permis d’intégrer l’équipe nationale qui donne accès aux Championnats d’Europe. J’ai été championne de Belgique à plusieurs reprises mais jamais je n’ai réussi à faire un podium en Championnat d’Europe. Cela malgré 3 participations consécutives à ceux-ci. Ensuite vient ma première participation aux Championnats du monde et là c’est le gros lot parce que je décroche la première place en combat.
Est-ce que tu t’y attendais ? T’étais-tu préparée dans l’optique d’être première mondiale en kumite ? Comment se fait-il que malgré que tu n’arrives pas à être placée en Europe, au niveau mondial cela ait marché tout de suite ?
D’après mon coach, il y a eu un déclic suites aux divers Championnats d’Europe où je suis sortie bien amochée avec des bleus partout. J’avais vraiment une « sale gueule ». Cela a été un déclencheur car je me suis vraiment fait tabasser. De là, quelque chose est né. Aussi, quand je m’entraîne, je ne me dis jamais « je ne veux pas gagner » ! Bien entendu que je veux gagner ! Cette victoire a également été une grosse surprise pour moi. Quand j’étais là-bas, j’étais à fond, je m’étais préparée des semaines à l’avance pour cet événement. Même pendant les vacances où j’avais des examens à passer. Ceci a d’ailleurs été une grosse source de stress. Pour finir j’ai bien su gérer et cela a donné cette consécration.
A quoi ressemble ta semaine type sportivement parlant ?
J’essaie de toujours garder au moins un jour de repos en l’occurrence, le dimanche. Le lundi en général j’essaie d’aller courir ou alors je fais de plus de petites séances d’entretien physique que cela soit à la maison ou en externe : abdos, pompes, squats, burpees… Si je dois courir, qu’il fasse beau ou moche « je m’en fous un peu », cela dépend un peu de mon horaire à l’université car je dois combiner les deux. Le mardi je m’entraîne au club pendant 1h30. Le mercredi aussi, l’entraînement se passe au club mais dure 2 heures cette fois. Une à deux fois par mois, les jeudis, des entraînements provinciaux sont organisés. Le vendredi, à nouveau un entraînement de 1h30 au club. Le samedi c’est 2h30 à 3h d’entrainement mais cette fois avec l’équipe nationale. Celui-là est assez costaud. Enfin le dimanche, comme je l’ai dit c’est repos. Bien entendu, je peux varier en sautant un ou deux entraînements en cas de pépins physiques ou de coup de moins bien.
Peux-tu nous expliquer comment tu arrives à trouver un équilibre entre les cours et ton activité de karatéka ?
Ce n’est pas du tout évident je ne le cache pas, ce n’est pas un secret (rires). L’année passée a été celle de ma rentrée à l’université et ce fut un gros changement par rapport aux secondaires. Ce que j’ai adoré dans l’enseignement supérieur c’est que les présences ne sont plus obligatoires(rires). Du coup, tu jongles avec les horaires en bossant l’après-midi à la bibliothèque… Tu crées ton propre horaire étant donné que tu n’es pas obligé d’être tout le temps présent. C’est vraiment ce que j’ai apprécié à l’université. Par contre quand vient l’heure d’étudier, il faut y aller à fond surtout si tu sais que tu as entraînement le soir. L’après-midi doit servir à travailler autrement, tu ne t’en sors pas. Le risque étant d’accumuler la matière et de finir submergée. Dans mon cas, les cours de médecine ne sont pas compliqués à comprendre mais il y a beaucoup de matière à retenir. Dès que tu laisses une semaine passer tu es mal ! Après, je ne cache pas que j’ai reçu de l’aide de « potes » qui avaient des résumés ou des questions d’examens… C’est toujours plus simple avec ce genre d’outils que de refaire tout ton cours de A à Z surtout quand tu as un peu moins de temps que les autres (rires). Et puis, il faut y croire et s’accrocher ! Beaucoup de personnes m’ont dit de laisser tomber, parce que selon eux, pratiquer du sport à un tel niveau tout en poursuivant des études supérieures équivaut au suicide…
Plus tard, quelle profession te vois-tu exercer ?
Je voudrais devenir médecin, c’est mon objectif, mon rêve. Cependant, je ne vais pas laisser de côté le karaté. J’aimerais bien combiner les deux par le biais, par exemple, de la médecine sportive, pour des athlètes de haut niveau. Cela peut être une bonne perspective vu que je suis passée par là. De plus, je serai plus à même de les comprendre grâce à mon approche. Pour l’instant je ne suis pas encore totalement sûre, il me reste encore quelques années (rires) donc peut-être que je me passionnerai pour une autre branche de la médecine, qui sait ?
Quelles sont les valeurs que le karaté t’a inculquées et qu’en retires-tu dans ta vie ?
Tu gagnes de l’assurance, de la confiance en soi, de la maîtrise ce qui permet de canaliser tes sentiments et émotions, du self-control… Tu as la possibilité d’extérioriser tout ce que tu as sur le cœur à l’entraînement par les kiais*, tu peux te lâcher. En gros cela te décrispe, tu deviens moins coincé.
A part le karaté et l’école, quels sont tes hobbies ?
Je ne vais pas cacher que ces deux activités me prennent énormément de temps. En plus des entraînements il y a les stages, les compétitions… Le peu de temps que j’ai, je regarde des séries ou un petit film pour me reposer.
Une question un peu plus sensible; Quel est ton ressenti par rapport au fait d’être une maghrébine dans un milieu sportif essentiellement composé de Belges ?
Ce que j’observe c’est que dans tous les sports en général, il y a de la mixité. Ce n’est pas nouveau. Que je sois là en tant que maghrébine, c’est une situation déjà connue par d’autres personnes. De toute façon je ne me prends pas la tête. Je suis là pour faire ce que j’aime. Qu’il n’y ait pas du tout d’autres Maghrébins, ou que le milieu soit composé de 99,9% de Belges cela ne m’intéresse pas.
Comment penses-tu que ta famille ou tes amis perçoivent ta pratique d’un art martial, discipline à dominance masculine ? N’est ce pas une entrave à ta féminité ?
Non, je pense que c’est cliché et que c’est un vieux mode de pensée. Aujourd’hui, tu ne fais pas ce que tu veux évidemment mais tu as un certain degré de liberté. En quoi est ce qu’un art martial va entraver ta féminité ? C’est juste une manière d’être simplement. Cela me fait sourire parce que l’on ne m’a jamais mis de barrières en ce qui concerne la pratique de mon sport. Ma mère est très fière et je pense que si elle avait été plus jeune, elle aurait également aimé avoir la chance de pratiquer le karaté.
Quels sont tes objectifs à court et long termes dans le sport ?
En ce qui concerne mes objectifs à court terme, j’ai un Championnat d’Europe dans un mois. Mon but est de réaliser une bonne performance. Viser un podium pourquoi pas mais d’abord viser la performance, la qualité, être en forme ce jour-là. Je veux donner le meilleur de moi-même. Si j’obtiens une médaille, tant mieux. Sinon, je ne vais pas trop me prendre la tête avec cela. À long terme, il y a un Championnat du monde. L’objectif sera d’aller de nouveau chercher la première place en combat sachant que je passe en catégorie senior (NDLR). Cela sera un cap à passer. A plus long terme encore cela serait de continuer la pratique du sport, continuer les compétitions internationales, gagner en expérience, technique et performance.
Enfin, ma dernière question serait de savoir ce que tu dirais à celui qui veut se lancer dans une activité extra-scolaire tout en étant à l’université ou en haute école ?
Jette-toi à l’eau et ose ! Il ne faut pas écouter les autres. Il faut de la motivation et aimer ce que tu fais. Si tu aimes un sport tu sais que tu dois faire la part des choses entre les moments où tu dois étudier et ceux où tu peux pratiquer. Il faut se connaître soi-même également. En médecine il y a ceux qui étudient à fond pendant toute l’année et de l’autre côté ceux qui ont des activités externes et qui gèrent. Ce n’est pas impossible, il faut juste avoir de la discipline. Si tu ne profites pas maintenant, pendant tes études pour faire quelque chose que tu aimes, il ne faut pas croire qu’une fois diplômé tu auras plus de temps. Et puis j’ai entamé de longues études, je ne vais pas me dire que je vais commencer à profiter après, si cela se trouve je vais mourir entre temps (rires).
DeAndre