Ce 26 septembre 2018 lors du sommet « Goalkeepers » organisé par la Fondation Gates à New-York, le président français Emmanuel Macron a tenu un discours pour le moins « choquant » sur la natalité en Afrique.
Ses propos se sont répandus comme une traînée de poudre au sein de nombreuses familles à travers le monde car selon les dires du président français, « l’un des principaux problèmes que nous rencontrons, c’est le fait que la fertilité [des femmes] ne soit pas choisie. Je dis souvent : présentez-moi une femme parfaitement éduquée qui aurait 7, 8 ou 9 enfants. »
Les femmes ayant eu beaucoup d’enfants seraient-elles moins éduquées que les autres ? Nous pensons que ce discours reflète un problème bien plus profond qui tire ses origines de la colonisation que la France a pratiqué pendant des siècles en Afrique comme ailleurs.
La France et la natalité africaine : un passif historique qui ne date pas d’hier
Le fait que la natalité en Afrique soit perçue comme si problématique n’est pas un fait nouveau. Lors de la colonisation d’abord et ensuite à travers le prisme de la françafrique , cette question se pose malheureusement encore aujourd’hui. D’abord, la France a encouragé la natalité dans ses colonies et cela pour ses intérêts politiques et surtout économiques, notamment dans les DOM-TOM pour ensuite se raviser, quitte à pratiquer des avortements forcés. Ces derniers ont notamment eu lieu à la Réunion, exemple expliqué par Françoise Vergès, auteure de l’ouvrage « Le Ventre des femmes ». Ce genre de pratiques et discours est bel et bien le reflet d’un impérialisme culturel, économique et politique criant.
L’Afrique est-elle condamnée à suivre la même transition démographique que l’Europe ? Doit-elle céder à ces politiques qu’on essaye de lui imposer depuis des décennies ? Est-ce que la démographie en Afrique concerne-t-elle réellement l’Europe et l’Occident en général ?
Nous sommes forcés de constater que les femmes, et particulièrement les femmes africaines, sont fortement visées par ces propos car elles ne seraient pas à même de planifier leurs grossesses et qu’elles n’auraient pas l’occasion de contrôler leur contraception. Ce sujet les concernant elles, et elles d’abord, nous aimerions savoir ce qu’en pensent les femmes.
Mais les femmes, qu’en pensent-elles ?
Pour le savoir, nous avons recueilli les témoignages de plusieurs étudiantes originaires de pays visés par ces propos afin de connaitre leurs opinions sur le sujet.
Christelle :
« Il est inquiétant mais pas surprenant de voir la désinvolture avec laquelle on peut jouer sur des stéréotypes racistes du continent africain et des femmes africaines. Ces propos entrent dans une longue lignée de discours paternalistes tenus à propos du continent africain depuis plusieurs décennies. On se soucie peu de savoir que l’Afrique est un continent de 54 pays aux besoins et aux problèmes extrêmement différents qui recèle d’individus et d’organisations locales s’efforçant de les résoudre au quotidien. Par ailleurs, en moyenne, selon la Banque mondiale , une mère en Afrique subsaharienne a donné naissance à 4,85 enfants en 2016 et non à « sept ou huit » comme soutenu. Il aurait été plus judicieux de souligner que les femmes africaines n’ont toujours que trop peu accès à l’enseignement, à la planification familiale et au marché du travail. Autonomiser les femmes africaines reviendrait à autonomiser tout le continent entier. Bref, ce que ces propos révèlent est que la réalité et les besoins des femmes africaines et de l’Afrique sont méconnus et peu pris en considération par l’Occident. C’est la raison pour laquelle les Africains doivent continuer à s’unir et travailler ensemble pour leur avenir commun. »
Jessica :
« Sans même compter l’Histoire, sans même se tourner vers le passé, en prenant juste le présent et les réalités sociétales d’aujourd’hui, l’une des raisons factuelles du nombre d’enfants (au Congo par exemple puisque c’est le pays d’Afrique que je connais le mieux) est l’absence de mutualités -publiques-. Forcément, les aînés comptent sur les plus jeunes pour prendre soin d’eux quand ils ne pourront plus le faire eux-mêmes et donc multiplier les enfants (pour parler de manière cynique), c’est multiplier les chances de s’assurer une belle retraite. Et de plus, vu le fossé entre classe aisée et classe pauvre, la classe moyenne n’existant (quasiment) pas, les chances de voir ses enfants réussir (financièrement) restent minces. Donc plus d’enfants, c’est plus de chances. Ceux qui ont réussi (encore une fois au sens capitaliste du terme. Sachant qu’on a tous des valeurs différentes, la réussite est bien entendu subjective.) prendront soin de leurs parents comme évoqué mais aussi, bien souvent, des membres de leur famille (entendue au sens très large) qui ont eu moins de chance. De ce fait, peu importe leur place dans la famille (qu’ils soient aînés ou pas), ils sont considérés comme chefs de famille. C’est bien connu. Et donc ce qui est perçu comme de l’insouciance, une ignorance des méthodes de contraception et j’en passe est en fait un mécanisme de survie stratégique qui prouve la malice et l’intelligence de ces peuples méprisés. Bref, chacun ses méthodes et ce n’est certainement pas au reste du monde de dicter leurs conduites aux femmes africaines. Des bébés, on continuera à en faire, que ça plaise aux paternalistes ou pas. »
Maya :
« Alors, je pense que M. Macron utilise des preuves vérifiables, ce qui fait que ce ne sont pas ses paroles qui sont à plaindre mais plutôt le fait qu’il joue beaucoup sur les idées. Dans le sens où, oui, la majorité des femmes de certains pays d’Afrique sont non-instruites. Mais il ne nuance pas, déjà il y a de bonnes statistiques concernant les femmes pour l’enseignement primaire et ce, pour l’ensemble des pays. Ensuite, d’autres pays voient leurs nombres de femmes dans les études de plus en plus croissants. Ensuite, oui, le fait de faire des études retarde généralement les mariages et grossesses mais, en aucun cas, elle ne les diminue. De plus, je pense que démentir ses propos qui sont fort stéréotypés, c’est quelque peu superficiel. L’idée que certains se font de l’Afrique, c’est là le fond du problème.
Le président français a dit : « Le défi de l’Afrique […] est civilisationnel ». C’est revenir à l’idée raciste que l’Afrique est non-civilisée et qu’il serait temps qu’elle le devienne. Il a rajouté : « Quand vous êtes un pays pauvre, où vous laissez la démographie galopante, où vous avez 7, 8 enfants par femme », c’est l’idée sexiste de la femme, usine de production d’enfants, sans conscience et sans avis. D’ailleurs, je noterais le fait qu’il a prononcé le terme « par femme » et non « par famille ». »
Après cette vague d’indignation, des familles ont répondu avec humour à Emmanuel Macron sur Twitter via l’hashtag ♯postcardsforMacron . Nous pouvons constater par ces photos que le fait d’avoir beaucoup d’enfants ne fait pas d’une femme une personne moins éduquée que les autres. Aussi, le fait d’avoir un grand nombre d’enfants est un choix personnel que personne ne devrait remettre en question et encore moins, ceux qui ne connaissent pas la réalité de terrain de ces pays. Non, le fait d’avoir beaucoup d’enfants n’est pas synonyme d’une quelconque faiblesse économique ou intellectuelle. Nous considérons que la « forte » démographie du continent africain est une force dont il doit se servir sans se préoccuper de ce que pense autrui. Il ne reste plus qu’à voir ce que l’avenir nous réserve.
Océane Lessay.
Crédit image : https://goo.gl/images/WGnrBN
Sources et références : Le terme Françafrique désigne l’ensemble des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines pour en dénoncer le caractère ambigu et opaque. La Françafrique serait constituée de réseaux d’influence et de lobbies d’acteurs français et africains intervenant dans les domaines économique, politique et militaire pour détourner à leur profit les richesses liées aux matières premières ainsi que l’aide publique au développement.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/30/macron-les-femmes-et-l-afrique-un-discours-de-selection-sexuelle-et-de-triage-colonial_5222794_3212.html.
Dom-Tom : Abréviation de départements et territoires d’outre-mer, considérés comme un tout.
https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN?name_desc=false