Des livres sur les pirogues

 

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Le Binakuko est parti à la rencontre d’Elozi Lomponda, fondatrice de l’association Des Livres sur les Pirogues, à laquelle sera reversée une partie des fonds du gala du Binabi 2019. La jeune femme, absolument passionnée par son projet, engagée, presqu’idéaliste, nous livre la raison d’être de son A.S.B.L. et les détails de la situation problématique qui en ont motivé la création.

 

 

Quel est le but de votre association ? De quel constat est né ce projet ?

Je pense qu’avant toute chose, l’important était de se rendre compte qu’il y avait un problème : pour nous, pour commencer, bien sûr, et pour le public ensuite. Il faut savoir que les habitants de la République Démocratique du Congo, où nous travaillons, ignorent eux-mêmes l’existence du problème – le pays est immense. On peut facilement se douter que, chez nous, il demeure donc totalement méconnu. Voici ce qu’il en est : dans la région où nous travaillons, 15 000 enfants vont à l’école en pirogue. Ce sont des enfants de pêcheurs, qui vivent sur les îles de fleuve, et que leurs parents ne peuvent pas amener eux-mêmes en cours car ils ont souvent beaucoup d’enfants, ce qui complique logistiquement la chose. D’autant plus, qu’ils doivent en premier lieu s’occuper de leur culture, des récoltes et préparer les repas pour nourrir tout le monde. Ils peuvent se permettre ces déplacements coûteux. Ce qui nous a secoués au début, c’était d’apprendre que beaucoup de ces enfants meurent durant ces trajets jusqu’à l’école.

Ils effectuent ces traversées, de 45 minutes ou plus puisque les écoles sont très éloignées de ces villages (le terme village peut d’ailleurs paraître curieux, quand on pense que celui où l’on déploie nos activités compte quelques 180 000 habitants ! Le manque d’infrastructures dans un espace en fait assez peuplé ne semble que plus désarmant).

Vers onze ans par exemple, ils traversent sans savoir nager, et dans les turbulences du fleuve, sans compter le retour des cours qui se réalise à midi, lorsque le soleil est à son zénith et donne la chaleur maximale de la journée, alors même que les petits n’ont que peu mangé dans la matinée. L’effort physique à produire est donc très important et ces allers et retours sont périlleux. Cela représente un traumatisme pour ces enfants qui ont vu des copains ou des membres de leur famille mourir lors de ces traversées jusqu’à l’école alors même qu’ils doivent reprendre le même chemin, encore et encore, tous les jours. Les parents aussi vivent dans la peur de ne voir revenir de l’école, un jour, que le cartable de leur enfant, ce dernier s’étant noyé dans le fleuve lors d’un de ses périples.

Voilà ce qui nous a motivés à agir, pour permettre à ces enfants d’accéder à l’école en toute sécurité : quand on y réfléchit, ici on ne laisserait jamais un enfant de huit ou dix ans partir seul pour l’école, même si elle se trouve au bout de la rue ; les conditions dans lesquelles ils s’y rendent là-bas sont bien plus dangereuses, et ne devraient même pas exister.

Dans le même temps, nous entendons par nos mesures lutter contre l’exode rural : en effet, face à cette difficulté et cette insécurité de l’accès à l’école, les parents choisissent bien souvent l’option de ne plus y envoyer leurs enfants, ou bien de les placer dans de la famille proche ou éloignée résidant dans les métropoles, où ils fréquentent l’école, au sortir de laquelle, ne trouvant pas de possibilité de carrière décente, ils décident dans bien des cas de partir tenter leur chance en Europe, par exemple. Notre but est donc de permettre le développement de ces enfants dans leur environnement d’origine, dans le village qu’ils ont toujours connu, où ils se sentent bien, chez eux.

 

Quelles actions menez-vous concrètement pour changer les choses ?

Pour commencer, nous travaillons en partenariat avec une école locale qui nous a touchés de par son dénuement : elle manquait énormément de moyens, et nous y avons remédié en lui fournissant du matériel scolaire. Nous avons aussi construit les premières toilettes de cette école ainsi qu’un point d’eau pour que les enfants puissent faire leurs besoins et se laver les mains ensuite sur leur lieu d’apprentissage, ce qui crée pour celui-ci de meilleures conditions et réduit en outre le risque de propagation de l’Ebola, qui est un vrai problème en RDC lié au manque d’hygiène notamment.

Ensuite, nous avons terminé la construction de notre premier bateau scolaire, qui transportera plusieurs enfants à l’école en même temps, en toute sécurité puisqu’ils n’auront pas à le diriger eux-mêmes (contrairement aux pirogues où ils naviguent seuls) et seront munis de gilets de sauvetage et de tout le nécessaire. Ils pourront lors de la traversée vaquer à leurs pensées d’enfants plutôt que de se concentrer sur leur conduite et en redouter les dangers, préoccupations qui ne devraient définitivement pas être les leurs. Le bateau attend actuellement sur son site de construction que nous ayons réuni les fonds nécessaires à son transfert à plus de 800 kilomètres vers le site congolais où il sera mis en service (dans la région de l’Equateur, où nous œuvrons, rurale et particulièrement reculée).

L’objectif final pour nous est la mise sur pied d’écoles dans les villages concernés, pérennes, car il faut savoir que 70% des écoles déjà présentes dans la région où nous travaillons sont construites en matériaux non durables, balayés par les inondations qui touchent le pays deux fois par an, obligeant la population à les reconstruire à chaque fois, et les enfants à interrompre leur cursus scolaire durant ces périodes.

Ils se rabattent alors sur le travail avec leurs parents ou de leur côté, et ne voient parfois plus l’intérêt, lorsque les cours peuvent reprendre, de continuer à s’y rendre, sachant qu’ils peuvent désormais travailler tout seuls et gagner un argent de poche bienvenu. Les écoles que nous ambitionnons créer, une fois les fonds suffisants récoltés, règleraient donc le problème de la distance en plus de celui de l’abandon des études dans le contexte que nous venons d’évoquer.
Poursuivant toujours cette conviction de l’importance de l’éducation comme pourvoyeuse de promesses d’avenir, nous agissons également auprès des mères de ces enfants de villages ruraux, souvent célibataires, veuves, très jeunes etcetera, pour qu’elles puissent elles-mêmes bénéficier d’une formation agricole adéquate pour cultiver la terre comme elles le font : nous leur apprenons un métier, et les dotons également de compétences en management pour les rendre capables de travailler à leur propre compte.

 

Comment fonctionnez-vous ? Comment vous financez-vous ?

L’association est née il y a trois ans et demi, de nos petits fonds propres mais pas à pas, nous nous sommes développés et commençons enfin à prendre plus de poids et à mettre nos actions sur pied.

Nous sommes un conseil d’administration de six bénévoles de tous les âges, toutes les professions et toutes les origines. Nous sommes ouverts à toute nouvelle participation. La majorité de nos représentants se trouve cependant sur place, à Kinshasa (15 personnes) et dans le village dans lequel nous agissons en priorité (25 personnes). Nous sommes en contact permanent avec eux par Skype, WhatsApp etcetera.

Nous dépendons de dons, qui sont facilités par une visibilité la plus large possible sur les réseaux sociaux, les personnes qui entendent parler de nous et nos actions et décident de nous aider et de partager à leurs connaissances leur intérêt pour notre association. Nous proposerons à ceux qui nous soutiennent, à l’avenir, de nous accompagner sur place pour échanger avec les enfants et se rendre compte par eux-mêmes de la réalité sur le terrain, ce qui vaut toujours mieux qu’un rapport de distance où l’on n’a pas l’occasion de se rendre compte des choses en profondeur, bien que ces actions à distance soient également très nobles. L’association compte également des membres, qui payent une cotisation. Nous organisons en plus des événements ou un dîner solidaire annuel pour récolter des fonds, et sommes aidés par des soutiens ponctuels, comme d’anciens scouts par exemple qui ont tenu à soutenir notre cause. Les influencers en ligne nous apportent aussi un surprenant soutien, en sensibilisant leur communauté à cette cause méconnue.

 

Vous n’êtes présents, pour le moment, qu’en République Démocratique du Congo ?

Oui. Nous voulons nous déployer ailleurs aussi car les mêmes problèmes se rencontrent sur d’autres territoires d’Afrique Subsaharienne, dans les régions à proximité de fleuves en général. Mais il fallait bien commencer quelque part, et nous voilà donc dans la région de l’Equateur, en RDC, à 925 kilomètres de Kinshasa, qui est, comme on l’a dit, très reculée et où les enfants accèdent réellement très difficilement à l’éducation, ainsi qu’en un autre lieu à 65 kilomètres de la capitale, où se trouve notre école partenaire. Nous avons choisi la RDC car j’en suis originaire, et il nous semblait plus simple de récolter des données auprès d’autorités publiques ou de la population dans un territoire connu, sans compter que l’on surmonte ainsi l’éventuelle barrière de la langue.

Il serait question par la suite d’étendre nos actions au Congo, à Brazzaville, et dans d’autres endroits une fois que l’on aura construit l’école, qui demande le plus de fonds et représente donc une étape-clé, mais pour le moment inatteignable, de notre travail ; en effet, avec le bateau scolaire, on combat les symptômes du problème, mais pas ses causes, à savoir l’éloignement des enfants de leur lieu éducatif, ce que la construction d’écoles de proximité résoudra. Ce type de projet représente un investissement d’environ 40 000 euros, ce qui n’est pas utopique mais que l’on ne peut accomplir pour le moment. Un subside nous aidera peut-être.

 

Avez-vous une impression à nous livrer sur l’état actuel de l’éducation en RDC, ou en Afrique en général ?

J’ai de l’espoir compte-tenu du nouveau gouvernement qui a pris place en RDC, qui accorde de l’importance à l’enseignement, qu’il voudrait rendre gratuit pour tous, par exemple. Mais le plus gros problème des gouvernements africains est qu’ils devraient mettre de plus grosses enveloppes à disposition de l’éducation car les professeurs sont mal voire pas payés et tous ne sont pas prêts à faire leur boulot bénévolement, même si c’est le cas de certains. Et puis, on parle de confier des enfants à des individus, qui pourraient être mal intentionnés s’ils viennent d’on ne sait où sans être rémunérés pour ce qu’ils enseignent. L’éducation est la base de la société civile, on devrait lui allouer plus de moyens, au détriment peut-être de l’armement ou la défense comme c’est le cas de beaucoup de dirigeants africains, qui leur accordent des budgets prioritaires.

L’autre défi auquel sont confrontés tous les systèmes d’éducation est l’évolution à grande vitesse des technologies aujourd’hui, qui fait qu’un enfant peut avoir appris quelque chose au sein de son parcours scolaire qui n’est plus du tout valable à la fin : il faut adapter l’enseignement, mieux inculquer les savoirs aux enfants pour en faire les leaders de demain. Les former aux causes actuelles par exemple, au climat entre autres, pour ne pas pondre des climatosceptiques mais plutôt des adultes sensibles aux problématiques de leur temps. Réfléchir à la manière la plus adéquate d’enseigner, en somme. Il faut savoir que seulement 27% des enfants en RDC vont à l’école, alors que l’éducation nous rend aptes à faire entendre notre voix, car nous connaissons nos droits, et puisque l’on observe en Afrique une grande solidarité familiale et communautaire, on dit qu’on y aide toute une communauté quand on aide un individu, puisque l’enfant au sortir des études pourra trouver un travail et aura tendance à pousser ses frères et sœurs, les enfants de ces derniers, etcetera, à entreprendre eux aussi un parcours scolaire, ce qui sera pourvoyeur pour tous de possibilités dans leurs village ou leurs pays mêmes, sans volonté de leur part de le quitter pour d’autres pays où les possibilités de carrière semblent plus nombreuses. On peut ainsi éviter une « fuite des cerveaux » africains.

De plus, en devenant des citoyens éduqués, ces enfants se prémunissent du risque terroriste et de devenir des enfants soldats car ils ont l’esprit critique et la distance suffisants pour déceler l’anormalité et l’horreur de leur enrôlement dans de tels réseaux.
C’est important pour nous de travailler main dans la main avec les autorités locales des villages où nous œuvrons, car elles jouissent d’une large marge de manœuvre et, même si nous ne pouvons pas faire leur job à leur place, nous pouvons faire pression sur elles, dans une logique non conflictuelle, pour leur rappeler les causes que nous défendons et les décisions qu’elles doivent prendre, et sans lesquelles on ne peut pas énormément avancer.

C’est ce à quoi servent nos opérations de plaidoyer, qui se déroulent surtout à l’échelle des villages mais qui doivent s’étendre à un niveau national pour avoir plus d’impact : c’est possible, et très important, et l’on peut y accéder via nos contacts à plus petite échelle, mais ce n’est pas simple, et nous avons déjà fait face à pas mal de promesses et paroles en l’air.

Nous tâchons aussi de nous coordonner avec d’autres organisations sur place, mais qui sont parfois centralisées dans la capitale et nous disent ne pas pouvoir agir dans les zones reculées ou nous sommes présents, car elles n’y ont pas de succursales. Cependant, nous ne nous basons pas à Kinshasa, pour notre part, car ce n’est pas là que se situe le problème !

Quoi qu’il en soit, il est difficile de développer un projet, les obstacles sont nombreux : administratifs, politiques, matériels, et plus encore… Mais il faut beaucoup d’obstination, de patience et de passion pour le mener à bien, qu’il touche des centaines de milliers de personnes ou même une dizaine… Mais si l’on est animé par la volonté de faire le bien, tout est possible !

 

Llfé.

 

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