Comme un million de papillons noirs

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Récemment, les événements mettant en lumière, pour les bonnes ou les mauvaises raisons, les cheveux afros se sont multipliés. Entre la polémique nous apprenant – ou plutôt nous rappelant – qu’en tapant « coiffure non-professionnelle » sur Google, on pouvait tomber sur différentes personnes arborant leurs textures crépues et bouclées, les nombreux commentaires déplacés subis par Sibeth Ndiaye après avoir été nommée porte-parole du gouvernement français, le renvoi d’une jeune élève sud-africaine suite au port de ses cheveux naturels dans l’enceinte de son établissement scolaire ou encore l’entrée en vigueur en 2019 d’une loi interdisant la discrimination capillaire dans l’Etat de New-York, la question semble plus légitime que jamais : Qu’est-ce qui dérange, fascine tant dans ces cheveux qui sont pourtant… naturels ?

Le Binakuko est allé poser la question aux principales et principaux concerné.e.s : cette jeunesse mitigée qui pour certains, se conforme aux normes établies et pour d’autres, impose sa liberté capillaire.

Vidéo Binahair Filles – Merci aux figurantes : Laura, Soukeïna, Andréa, Océane, Florence, Drucylla, Maryam, Arlette, Jessica.

Vidéo Binahair Garçons – Merci aux figurants : O’Neal, JJ, Eli-Michel, Lema.

Le Binakuko est aussi allé, pour vous, se renseigner auprès de Laura Nsafou, une blogueuse et auteure afrofeministe qui maîtrise bien la question capillaire puisqu’elle tient, depuis 2013, le blog Mrs Roots et a publié un album jeunesse « Comme un millions de papillons noirs » réédité cette année aux éditions Cambourakis.

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Pouvez-vous nous relater tout le processus de l’idée même du livre à sa parution?

En 2016, c’est la fondatrice des éditions Bilibok qui me propose d’écrire un album, à partir de la citation de Toni Morrison qui compare un afro à un « million de papillons noirs ». J’avais carte blanche pour créer une histoire autour de ce titre, et je me suis inspirée d’une anecdote qui m’était arrivée plus jeune, en primaire, pour en faire l’histoire d’Adé. En étudiant le manque de représentation des personnages noirs dans la littérature française, je savais précisément ce que je voulais et ne voulais pas, surtout dans un livre jeunesse. L’idée s’est donc construite autour du récit, avant de donner lieu à un travail de collaboration avec l’illustratrice Barbara Brun.

Pourquoi était-ce important pour vous d’aborder ce thème ?

Que ce soit sous la forme d’un blog ou d’un livre, je suis convaincue qu’il nous faut laisser des traces, et créer du contenu qui puisse aider les plus jeunes à comprendre qu’ils existent et qu’ils sont légitimes. La question du cheveu s’est présentée avec ce projet, mais il y a bon nombre de thèmes qu’il est important de mettre en avant (et sur lesquels je travaille encore, d’ailleurs). Aussi, le cheveu crépu est une particularité des afrodescendant.e.s, et il est facilement la cible d’une négrophobie structurelle, au même titre que la peau ou les traits. Les femmes noires en font particulièrement les frais du fait des diktats de beauté présents en Occident, notamment quand il est question de la texture et la longueur de la chevelure. Il n’est donc pas rare d’entendre très jeune des insultes ou des moqueries qui nous suivent de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, et qui rendent difficile la construction d’une estime de soi.

Diriez-vous que ce livre est autobiographique ou, en tout cas, largement inspiré de votre vie? Si non, avez-vous vous-même vécu le genre de brimades dont a été victime le personnage principal de votre livre ?

Comme je l’ai dit, il est en partie autobiographique, tant par les moqueries que j’ai pu vivre enfant, que par le souvenir de cette relation avec ma mère autour du cheveu. Dans le bon comme dans le mauvais, cette histoire est inspirée de mon vécu, mais qui n’est malheureusement pas une exception.

Qu’aimeriez-vous que vos lecteurs, en particulier les plus jeunes, retiennent de votre livre? (Comme leçon, apprentissage) Quel héritage/impact espérez-vous avoir laissé ?

Je ne sais pas, c’est tellement large… On trouve dans un livre ce dont on a besoin : j’ai autant de retours de petites filles noires qui ont retrouvé une certaine fierté vis à vis de leurs cheveux que d’adultes ayant été touché par les thèmes de la transmission, et de la confiance en soi qui traversent ce livre. Mais s’il y a une chose que j’aimerais, ce serait que chacun comprenne qu’on a tous une responsabilité quant à la manière dont les enfants se construisent : il est temps d’arrêter d’écrire des histoires où des enfants minorisés n’existent pas, ou alors où ils ne s’aiment pas « comme par magie ». Derrière l’histoire d’Adé, il y a la nécessité d’avoir cette discussion sur ce que nous laissons aux plus jeunes et ce que l’on transmet.

Pensez-vous que l’acceptation des chevelures crépues est réellement en marche ou pensez-vous que ce n’est qu’une façade ?

Les conversations autour du cheveu crépu se popularisent depuis plusieurs années, mais personnellement, je ne cherche pas une acceptation qui soit une validation d’autrui sur nos cheveux crépus. Je suis plus intéressée d’insuffler aux jeunes filles concernées l’amour d’elles-mêmes et de ce qu’elles ont, que leurs cheveux soit courts ou longs, 4a ou 4c, etc.

Quelque chose à ajouter ?

J’ajouterai que beaucoup d’auteurEs s’emparent de ces questions de la représentation des afrodescendants, tant dans le roman, que dans la poésie ou la BD, alors s’il y a des auteures à découvrir, ce serait notamment Madina Guissé, Reine Dibussi, Jo Gustin, Kiyémis, Venessa Yatch, Cristèl Karmen Dandjoa (CKD), et bien d’autres…

Si vous souhaitez en apprendre plus sur les raisons du désamour de certaines textures au détriment d’autres, le Binakuko vous conseille cet article du blog de notre invitée : https://mrsroots.fr/2014/03/10/nappy-seulement-une-affaire-de-cheveux/ ainsi que l’article précédemment paru sur notre site concernant le mouvement nappy.

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Ce cheveu qui défie la gravité continuera à faire parler de lui mais qu’à cela ne tienne, tant que les générations à venir réalisent que ces petites mèches souvent décriées sont, sur leurs têtes, un héritage tangible leur venant tout droit d’ancêtres combatifs, de Reines et Rois qui ont marqué l’Histoire, d’Héros et Héroïnes qui méritent notre admiration. Nous continuerons à arborer avec fierté nos couronnes capillaires jusqu’à ce que ce soit enfin considéré normal. Les moqueries ne cesseront peut-être jamais, les attitudes fétichistes non plus mais ce n’est pas le principal.

L’important est de nous interroger sur la vision que la société a de nous mais aussi et surtout de sortir de cette habitude d’effet miroir afin de nous appréhender sous un nouveau regard : le nôtre. Soyons notre propre référentiel ! L’important est de cesser d’être dans le réactionnaire et de passer à l’identitaire, de cesser de chercher à se faire aimer et d’enfin commencer à s’aimer.

Transmettons à nos petites sœurs, petits frères ce désintérêt pour la bêtise qui leur est parfois adressée afin que ne les touche plus jamais ce qui n’aurait jamais dû les toucher au départ.

Anadja 

Camerawoman : Linda Naïcha.
Montage : Adrien Premier.
Sous-titres : Ange Didier Makungu.

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