Connu sous l’appellation « n-word » dans le langage courant, ce terme constitue la preuve que les mots ne sont pas perçus de la même façon selon la bouche qui les prononce. Aussi tabou que de citer « Voldemort » à voix haute pour certains, aussi banal que dire bonjour pour d’autres, l’emploi du « n-word » revient fréquemment au cœur des débats.
« Tout un discours, des pratiques inventées, des constructions sociales qui déshumanisent une partie de la population mondiale à partir de ce mot-là : nègre. » – Cheikh Thiam dans « Négro, Nègre, Nigga : a-t-on le droit d’utiliser ces mots ? ».
Les termes « négro » ou « nigga », devenus pour certains des termes familiers, sont issus du terme « negro » qui, en espagnol ou en portugais, signifie « noir ». Ce dernier était donc initialement utilisé pour décrire une personne à la peau foncée. Cependant, ce mot devint insultant et péjoratif lorsque les esclavagistes décidèrent d’y recourir pour déshumaniser les Africains déportés en Amérique. Il est d’ailleurs souvent utilisé en ce sens par les personnes s’affirmant être des suprémacistes blancs.
Avec le temps, ceux contre qui cette injure a été dirigée pendant des siècles se sont réappropriés ce terme. « What’s up my nigga ? » ou « Lui ? Mais c’est mon négro, lui ! » sont devenues des phrases qu’il est récurrent d’entendre dans des films, des sketchs humoristique ou certaines chansons. Le terme « négro » a également servi d’inspiration pour l’invention du courant littéraire et politique de la Négritude, ayant pour but de revendiquer l’identité noire et sa culture, mené par des figures telles qu’Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor.
Ainsi, différentes tendances s’affrontent, certaines personnes estimant qu’un choix s’impose entre supprimer le mot parce qu’il est insultant ou le revendiquer pleinement. D’une part, certains partagent une opinion allant dans le sens de la suppression de ce mot, comme Oprah Winfrey, figure emblématique de la communauté Afro-Américaine aux Etats-Unis. Cette dernière estime que prononcer le « n-word » de façon si banalisée par certains ne fait que minimiser la gravité des actions esclavagistes et/ou colonialistes commises dans le passé, que traiter ses camarades de « négro », même en étant soi-même noir, revient à omettre certains des événements les plus tragiques de l’histoire de la communauté noire, sachant que cette injure était parfois le dernier mot entendu par certains Afro-Américains avant qu’ils ne soient tués par pendaison.

D’autre part, des personnes sont d’avis que ce terme ne doit pas être supprimé du langage courant, car il constitue une manière de se réapproprier cette terrible insulte utilisée par l’oppresseur, un mot que seules les personnes noires auraient le droit d’utiliser pour s’adresser à l’un des leurs. Quelques-uns expliqueront pourtant employer ce mot par simple mimétisme des membres de leur entourage, sans aucune arrière-pensée suprémaciste ou colonialiste, estimant que si ce terme est devenu banalisé pour certains, il devrait l’être pour tous. Ils semblent ainsi occulter toute la portée historique et péjorative de ce terme.
Ces visions complètement opposées laissent ainsi planer plusieurs questions : peut-on réellement en vouloir à quelqu’un de répéter un terme qu’il entend de façon si familière ? Mais pourquoi cette personne ne peut-elle pas entendre, voire comprendre, que la portée historique de ce mot fait qu’il ne peut être prononcé par n’importe qui ? Est-ce réellement possible en 2020 de censurer un mot à l’encontre de certains mais pas d’autres ?
Peu importe que les opinions des uns et des autres divergent au sujet de l’emploi du « n-word », le passé douloureux rattaché à ce terme devrait en faire réfléchir plus d’un quant au choix de son utilisation dans leurs phrases.
Rhodney MANGUNZA
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