« Ce que je crains, c’est que les libérateurs deviennent des élitistes qui roulent en Mercedes Benz et utilisent les ressources du pays pour vivre dans la richesse » – Chris Hani (1942-1993)
Le processus de démocratisation et l’abolition du régime de l’apartheid devaient permettre l’émergence d’une nouvelle vie pour la population noire majoritaire d’Afrique du Sud. L’inauguration de Nelson Mandela en 1994 comme premier président élu avait fait le tour du monde, rendant les Sud-Africains fiers quant à leurs efforts menés pour la révolution. Ils pensaient qu’elle allait porter ses fruits et que les futures générations pourraient profiter pleinement de leur pays.
Aujourd’hui, l’Etat doit faire face à de nombreux problèmes internes. Bien que la pandémie de la Covid-19 se soit ajoutée à ces problèmes, elle n’a fait que prendre le dessus sur ceux qui étaient déjà présents. Dans un premier temps, une bonne partie de la communauté noire vit dans des situations précaires, ce qui crée des sentiments de frustration. Cela est illustré par la répétition des attaques à motivation xénophobe envers d’autres Africains, et ce depuis 2008. Sont aussi remarqués les problèmes internes au sein du parti légendaire au pouvoir, l’African National Congress (ANC) dont plusieurs membres ont été accusés de corruption au cours de ces dernières années. Ce fut le cas de l’ex-président Jacob Zuma, déchu de son poste en 2017 à cause de ces accusations et qui doit maintenant se défendre devant la Cour anti-corruption de l’Afrique du Sud. Il est aussi raisonnable de penser que les blessures du régime de l’apartheid sont encore fraiches, le peuple sud-africain n’estimant pas que justice ait été faite. Force est de constater qu’aujourd’hui, dans le cadre de la justice sociale, notamment en ce qui concerne les problèmes de logement ou encore d’accès à l’éducation et aux soins médicaux, il reste beaucoup à faire et l’échec de la classe politique dans ce terrain en est la preuve. Cependant, en analysant les problèmes actuels, il est récurrent de penser que « la situation serait différente si telle personne avait été au pouvoir ». Nous pouvons ainsi penser à une personne, qui fut peut-être trop peu mentionnée dans l’histoire de la révolution contre l’apartheid : Chris Hani.

Chris Hani était vu comme l’homme du peuple, très apprécié de la jeunesse sud-africaine mais aussi considéré comme le numéro 2 derrière Nelson Mandela. Certains allaient jusqu’à penser que s’il avait présenté sa candidature, il aurait eu le potentiel pour gagner les premières élections démocratiques. Cependant, ce ne fut pas le cas car Hani fut assassiné le 13 avril 1993, presque un an jour pour jour avant les premières élections démocratiques. Il était populaire notamment en raison du rôle important qu’il joua dans la révolution pendant les 27 années qu’il passa en exil. Actif dans les rangs d’« Umkhonto We Sizwe » (La Lance de la Nation en Xhosa) qui désigne la branche armée de l’ANC et du Parti Communiste sud-africain, cofondé par Nelson Mandela, Govan Mbeki et d’autres, il s’y inscrivit à l’âge de 21 ans. Il fit ensuite partie de la fameuse campagne « Wankie » en 1963, qui fut la première opération militaire de MK, en collaboration avec la branche armée du parti zimbabwéen ZAPU, dans le cadre de la guerre de libération du Zimbabwe. La campagne qui s’était déroulé au Zimbabwe fut un échec sur le plan militaire, mais elle fut aussi un succès pour l’ANC car elle éleva sa popularité auprès des masses et permit une forte hausse des inscriptions au sein de la branche militaire.
Hani, malgré sa jeunesse, avait conscience de l’importance que l’ANC représentait pour la population. Au sein des MK, il apporta une valorisation importante de la discipline et de l’auto-critique. Après avoir passé 4 ans d’emprisonnement au Botswana à cause de son implication dans la campagne de « Wankie », il fut mécontent de la façon dont les cadres de l’ANC gérèrent le parti pendant son absence. Il s’allia immédiatement après à des collaborateurs et rédigea le « Chris Hani Mémorandum ». La publication de ce mémorandum le mit en danger au sein du parti : en critiquant des cadres tels que Joe Modise et Oliver Tambo, Hani et ses camarades furent suspendus de toute fonction. Néanmoins, ce mémorandum eu pour conséquence l’organisation de la Conférence de Morogoro en 1968, qui fut historique car elle donna un nouvel élan au parti. Hani devint encore plus déterminé, notamment en restructurant le parti afin de mieux mener la révolution.
Chris Hani passa ensuite de longues années en exil en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie. Mais c’est surtout en Angola qu’il pu se démarquer en tant que leader auprès des plus jeunes. A la fois un bon soldat pour certains mais aussi une figure paternelle pour d’autres, il se montrait utile quand il était demandé et affichait l’exemple par son humilité et sa sagesse. En 1998, après la bataille de Cuito Cuanavale en Angola, qui amena à l’indépendance de la Namibie en 1989 et vulnérabilisa le régime sud-africain, il sembla que la fin de ce régime s’annonçait proche. Il retourna finalement en Afrique du Sud en 1990, ce qui fut très important pour lui. En effet, ayant quitté le pays en tant que jeune homme, il revint en tant que révolutionnaire et numéro 2 dans la hiérarchie d’« Umkhonto We Sizwe ». Décidant de davantage se focaliser sur la politique et d’aider le peuple, il démissionna de son poste au sein des MK et occupa le rôle de secrétaire général du Parti Communiste sud-africain en 1992. En tant que secrétaire général, il estimait qu’il était crucial de se rendre auprès des populations les plus précaires, ce qui renforça sa popularité auprès des plus jeunes et surtout celle du parti communiste. Malgré sa notoriété, il disait toujours qu’il faisait tout cela par amour du peuple et non pas pour obtenir plus de soutien pour des élections, ce qui fut également toujours affirmé par les personnes qui le côtoyaient.

Les négociations CODESA liées au processus de démocratisation et au démantèlement du régime de l’apartheid débutèrent en 1990. Chris Hani était mécontent par rapport à certains accords qui furent signés, notamment en ce qui concernait la dissolution de la branche armée MK, car il estimait que cette dislocation ne pouvait être effectuée tant que le gouvernement nationaliste restait au pouvoir. Malgré son désaccord, il montra de nouveau sa qualité de leader en incitant ses hommes à obéir et à respecter la décision pour le bien de la transition.
Malgré son humilité, sa sagesse et son dégoût a l’égard de l’injustice, il fut assassiné le 13 avril 1993 devant sa maison par Janusz Walus, un immigré polonais d’extrême-droite qui était récemment arrivé en Afrique du Sud. Il était un fasciste blanc, un anti-communiste et un suiveur du parti conservateur sud-africain. Janusz Walus fut condamné à la peine de mort, qui devint ensuite une peine de prison à perpétuité lorsque la peine de mort fut abolie en Afrique du Sud. L’assassinat de Chris Hani eu comme effet de jeter de l’huile sur le feu au regard des tensions qui dominaient déjà la population. Néanmoins, le pays ne plongea pas dans le chaos total. D’ailleurs, l’assassinat de Chris Hani accéléra les négociations qui aboutirent à trouver une date pour les élections.
Pourtant, presque 30 ans plus tard, le chemin vers une paix durable est encore long, non seulement pour l’Afrique du Sud mais aussi pour le reste du continent.
Jeremy BOSEMBO-MOLITA
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