« Milestone Media » ou la représentation des minorités dans les comics à leur juste valeur

Dwayne McDuffie (1962-2011)

Ancien scénariste pour Marvel (NDLR : maison d’édition mettant en scène des héros tels que Iron Man, Hulk, Spiderman…), Dwayne McDuffie constata tristement le manque de diversité apparent au sein même des diverses minorités des bandes dessinées américaines. Il contacta alors le dessinateur Denys Cowan, avec qui il eu l’occasion de travailler par le passé, ainsi que le promoteur Michael Davis et l’éditeur Derek T. Dingle afin de fonder Milestone Media, une compagnie qui leur permettrait de publier leurs propres bandes dessinées.

Les maisons de publication qui dominaient le marché de l’époque n’offraient pas une palette de diversité satisfaisante à leurs yeux. En effet, le quatuor estimait qu’un personnage blanc n’était jamais écrit de la même façon qu’un autre. Superman et Captain America ne personnifiaient pas l’entièreté de la communauté caucasienne dans l’imaginaire collectif, mais il n’était pas forcément possible d’en dire de même pour les autres types d’ethnies. Par exemple, en qui le public asiatique pouvait-il se reconnaître ? A combien de super-héros africains, autres que Black Panther, pouvait s’identifier le public noir de Marvel ? Très souvent, les héros proposés ne reflétaient qu’une seule facette d’une communauté aux multiples visages. L’objectif de ce quatuor était donc simple : présenter une solution à ce qu’ils percevaient comme un problème.

« Vous n’aviez que deux types de personnages disponibles pour les enfants : la brute stupide qui est toujours en colère et le personnage « intelligent, mais noir ». Ils étaient tous colorés de la même façon (…). Je n’ai jamais croisé de personne grise ou violette dans ma vie. Il n’y avait quasiment pas de diversité et encore moins d’exactitude parmi les personnages de couleur » – Dwayne McDuffie

C’est avec cet état d’esprit que Milestone Media commença par publier quatre séries de comics en 1993 : Hardware, Icon, Blood Syndicate et Static. Les aventures racontées avaient toutes lieu au même endroit, dans la ville fictive de Dakota, où un événement surnommé « Big Bang » dota de nombreux citoyens de pouvoirs. Si certains ont préféré les utiliser pour leurs propres intérêts, d’autres décidèrent de les mettre au service des innocents. D’autres histoires vinrent ensuite se rajouter, notamment de manière à intégrer une équipe uniquement constituée de Noirs, de Latinos et d’Asiatiques. Static, basé sur un même schéma que Spiderman, à savoir un adolescent qui se retrouve un jour affublé de dons surnaturels et qui doit dès lors jongler entre sa vie d’étudiant et celle de super-héros, se verra d’ailleurs adaptée en série d’animation en 2003. Celle-ci remportera même l’un des prestigieux Eisen Awards pour l’un de ses épisodes traitant de la violence liée aux armes dans les « ghettos » américains.

L’une des différences entre Milestone Media et d’autres entreprises nées durant la même période réside dans le fait que le groupe est parvenu à obtenir un contrat particulier avec DC Comics (NDLR : maison d’édition amércaine, créatrice de super-héros tels que Superman, Batman, Wonder Woman…). Ce dernier stipulait que le seul droit de DC Comics était de choisir ce qu’il refuserait de publier, là où le quatuor afro-américain garderait le plein contrôle sur les droits d’auteur, le merchandising et tous les contrats de licence jugés pertinents de leur point de vue.

Malgré cela, l’aventure ne fût que de courte durée et s’arrêta en 1997, soit 4 ans après qu’elle ait débuté. Leurs numéros ne se vendirent pas aussi bien qu’ils l’auraient espéré, notamment à cause de la réputation de « comics pour Noirs » que certains organismes de la presse leur collèrent. A cela s’ajouta le prix élevé de leurs pages, dû à leur encrage particulier pour que la couleur de peau de leurs personnages paraisse plus respectueuse de la réalité que dans les œuvres concurrentes. Le refus de certains commerçants non-spécialistes de vendre leurs séries, de crainte de n’attirer que la communauté afro-américaine, finira par avoir raison de Milestone Media.

La fin des publications ne mit cependant pas un terme aux carrières respectives de ses auteurs. McDuffie travailla sur de nombreux projets de Cartoon Networks dans les années 2000, tels que par exemple Ben 10 : Alien Force, Quoi d’neuf Scooby-Doo ?, Teen Titans ou Justice League (dont il a écrit le scénario de 69 épisodes sur les 91 existants). Ces dessins animés qui ont bercé la jeunesse des enfants nés à la fin des années 90 ou au début des années 2000 n’auraient peut-être pas obtenus leurs statuts de classiques sans sa participation. Cowan, lui, aida à développer et à produire plusieurs séries pour Disney, Nickelodeon, Fox et ABC, dont la célèbre black sitcom animée The Boondocks. Il est aussi l’homme derrière la cover de l’album multi-platine Liquid Swords de GZA, membre du légendaire groupe de rap Wu-Tang Clan.

En cette période où les tensions raciales sont au centre de bien des sujets, DC Comics a récemment pris la décision de relancer les séries de Milestone Media en version numérique aux côtés de ses fondateurs, à l’exception de McDuffie, décédé en 2011 suite à des complications cardiaques. Les cinéphiles pourront également se réjouir de l’annonce d’un film en live action sur Static, produit par nul autre que Michael B. Jordan. Peut-on s’attendre à un retour de Milestone Media sur le long terme ? En attendant la réponse, rien ne vous empêche de retourner visionner les anciens épisodes de Static Shock qui viennent d’être mis en ligne sur la plateforme HBO Max.

Rhodney MANGUNZA

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