LETTRE OUVERTE AUX AUTORITES D’ETABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Bruxelles, le 6 juin 2022

Messieurs, mesdames, les recteurs, les rectrices,


« ça fait pas cher le safari » ;
« c’est un gang. Ya 20 noirs et rebeux » ;
« à chaque fois qu’un groupe de woluwe avait fini yavait un groupe de macaques qui gueulaient houga houga,
c’était l’enfer » ;
« on est au zoo ici » ;
« à la sortie, John il se fait raquet c’est sûr » ;

Nous nous permettons avant toute chose de contextualiser un tant soit peu les citations reprises ci-dessus. Le 12 mai dernier, les étudiants de la Haute Ecole EPHEC située à Woluwe Saint-Lambert ont rencontré les étudiants de l’EPHEC sur le site de Louvain-la-Neuve. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre d’un cours de marketing et visait notamment à la tenue de présentations de divers travaux de groupe. Il semble, pourtant, que certains étudiants de Louvain-la-Neuve se soient davantage concentrés sur la « race » que sur le contenu des présentations faites par ceux de Woluwe. Ils se sont complètement laissés aller à des propos racistes et déshumanisants dans un groupe de discussion privé. Malheureusement pour eux, leurs propos ont fuité. Les réseaux sociaux aidant, ils ont rapidement fait le tour de la toile et les autorités de l’EPHEC ont réagi. Nous reviendrons plus tard sur la réaction salutaire des autorités de l’EPHEC.

Dans la présente lettre, nous, Binabi Alumni Network, anciens étudiants de l’ULB, souhaitons sensibiliser l’opinion publique et les autorités académiques de toutes parts sur le sens profond de ce type de propos. Lorsque nous lisons que ces propos ne concernent que 10 étudiants sur 60002 et qu’il ne faut pas faire d’amalgame, nous tenons à rappeler à tous qu’il existe aujourd’hui plusieurs études sur la question du racisme et de son impact dans la vie quotidienne ainsi que sur le trajet des personnes défavorablement racisées. Ces études démontrent avec suffisance que les préjugés et stéréotypes racistes sont de nature à fermer des portes aux personnes d’origines étrangères. Le fait est que ce ne sont potentiellement pas que – pour ne pas dire « certainement pas que » – 10 étudiants sur 6000. Nous ne le savons pas, en fait. En effet, de nombreuses discussions privées n’ont pas fuité et ne fuiteront jamais. On sait toutefois qu’il y a, dans la lutte contre le racisme et les discriminations, encore un long chemin à parcourir et une énorme déconstruction à mettre en œuvre.

Particulièrement, nous tenons à rappeler que les grands domaines dans lesquels les discriminations systémiques se font fortement ressentir sont l’accès au logement, l’enseignement et l’accès à l’emploi. Les personnes afrodescendantes rencontrent dans ces domaines énormément de difficultés et il se trouve qu’un lien indéniable est à faire entre les propos de ces jeunes et cette réalité. Les stéréotypes ont la dent dure. Pour cause, ils ont été injectés durant des décennies voire des siècles et ont continué depuis lors à faire leur chemin dans la société. Et ils seront alimentés à chaque fois que nous refuserons de les regarder en face et de les lier à un problème structurel. Or, il y a bel et bien un problème structurel, au sens propre. C’est, pour le moins, inquiétant pour l’avenir de nos enfants, de notre jeunesse. Car ces jeunes aussi racistes et ignorants soient-ils sont les potentiels managers de demain, les futurs cadres, recruteurs ou collègues de nos enfants. Ils sont les potentiels enseignants ou bailleurs… Ils sont des futurs parents ! À ce titre, quelles seront les portes qu’ils fermeront à nos enfants parce qu’ils les considèrent comme des sauvages, violents et indignes de confiance, sans même les connaître ? Et alors même que ce sont eux qui font preuve d’une extrême violence ? Combien de pertes de chance doit-on à ce type de pensées insupportables, intolérables mais pourtant tolérées et répandues ?

À cet égard, il nous parait essentiel que tout le secteur de l’enseignement réfléchisse activement et énergiquement à des actions à mettre en œuvre pour lutter activement contre le racisme et éduquer des citoyens responsables, respectueux de l’autre et conscients de leur appartenance à un monde dans lequel tout être humain a sa légitimité ! Il ne faudrait pas tomber dans la naïveté consistant à croire que les propos tenus ne reflètent que les pensées d’un petit groupe isolé et marginal. Ces propos reflètent des biais, conscients ou inconscients, partagés par beaucoup et issus d’une propagande bien connue. En effet, il n’est pas anodin de comparer des noirs à des singes, de considérer que leur place est dans un zoo (c’est-à-dire un lieu fermé, qui à vocation à rapporter de l’argent à celui qui le gère). Devons-nous rappeler l’exposition universelle de 1958 ? Il n’est pas plus anodin de qualifier les personnes d’origines afrodescendantes de voleuses (cfr « racket »). Pas plus qu’il n’est anodin de les assimiler à un gang par ailleurs ! Les propos de ces étudiants à l’égard de leurs camarades sont déshumanisants et décomplexés. Ils reflètent parfaitement les stigmates dont les personnes afrodescendantes sont victimes. Et nous savons à quel niveau de violence physique mais aussi morale mène la déshumanisation liée à la stigmatisation de l’être humain. Le racisme freine et limite l’épanouissement social et professionnel. Il tue d’une mort physique et psychologique. Il affaiblit, il appauvrit, il handicape. Sa banalisation a exactement les mêmes effets. Nous vous prions de ne jamais l’oublier.

Pour terminer, nous tenons à saluer l’attitude intransigeante dont a fait preuve l’EPHEC à l’égard des comportements des protagonistes. Nous saluons la réactivité de l’Institution ainsi que les moyens mis en œuvre pour donner du sens et défendre les valeurs qui sont les siennes. Sanctionner est une chose, un levier mais en tant que lieu d’enseignement, nous encourageons l’EPHEC et les autres institutions à prendre des mesures préventives, de type éducationnel pour déconstruire ces stéréotypes et préjugés. Et ce faisant, protéger une partie de leurs étudiants. Il en va de notre responsabilité à tous de lutter contre l’héritage colonial de notre société. Nous déplorons que d’autres grandes Institutions Académiques n’aient pas eu le courage et la volonté de l’EPHEC lorsqu’elles en ont eu l’occasion. Nous pensons ici à la KULeuven et à la mort de Sanda Dia. Nous pensons à l’UGent et l’affaire Schild en Vrienden. Nous pensons à l’ULB et le mot « négresse » sur la blouse d’une étudiante baptisée. Nous pensons à notre propre vécu.

Nous encourageons toute initiative allant dans le sens d’une société où être afrodescendant ne sera plus synonyme, nulle part, d’infériorité. Et nous ferons ce que nous pourrons pour nous assurer que les portes que nous avons trouvé fermées à notre époque, soient ouvertes pour les générations futures. À cet effet, nous invitons toute instance visant le même objectif à se joindre à nous et à nous soutenir.

Cordialement,

Le Binabi Alumni Network (BAN).
Contact : binabi.alumni@gmail.com

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